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Feydeau ralentit et étouffe, sous l’œil menaçant de Stanislas Nordey

  • Photo du rédacteur: Collectif Les Villes en Voix
    Collectif Les Villes en Voix
  • 8 nov.
  • 2 min de lecture

Un Feydeau ? Bien sûr nous y sommes, gilets en laine, personnages emmitouflés, robes de chambre ternies, style vaguement japonisant, expressions fades, bouches embourbées de mots qu’on écoute à peine, l’intrigue progresse au compte-goutte, sans conséquences pour le spectateur. Art confortable. La didascalie initiale est projetée au mur, toile géante contemporaine où s’empêtrent des indications de lieux et d’emplacements. Pièce blanche, comme ces grandes pièces blanches, jamais vraiment « habitées », où posent çà et là des éléments de construction épars – qui n’auront finalement jamais servi, puisque la pièce s’achève dans la même vacuité démente. Le Traité des passions de Descartes est lu servilement sur les genoux, destiné seul à être lu et digéré, sans jamais pénétrer l’esprit et le corps de celui qui le ânonne. Inanité de l’art qui se contente. Les personnages avalent et dégorgent les mots de Feydeau, les premières rangées rient, on se demande comment, même si les données du vaudeville rampent sournoisement : hypocrisie rance, cruauté, mensonges, imbroglios, percées, décalages, lâcheté énorme. Surtout, cette lâcheté, à l’image de l’énorme projection du facies d’autruche qui nous toise durant les derniers actes. Le vert malade nous questionne, porteur de malédiction au théâtre : mais qu’est-ce qui est malade ? La société qui se régale d’un divertissement convenu, l’impossibilité aujourd’hui de naître en tant qu’artiste, et peut-être assiste-t-on sans vouloir l’admettre, à la mort du spectacle vivant. Les portes claquent sans cesse, mais ce n’est pas la dynamique ardente et virtuose qu’on a coutume de découvrir chez Feydeau, Jérôme Deschamps est très loin. Les cloisons tremblent, le son frappe, glaçant. On ferme toutes les issues. Les personnages grimés de suie noire s’agitent en vain, perdent visage, se déboîtent, sortent, et reviennent au centre sans jamais s’en extrader, irrésistiblement attirés par l’équilibre de leur toile d’insectes. Rien ne séduit ni l’œil ni l’oreille, excepté l’image narquoise de l’autruche. Le décor de l’hôtel est sinistre, sans murs, en effet qu’importe, tout se ressemble. Tout s’associe. L’effort héroïque consistant juste à échapper à la police des mœurs. Les costumes boursoufflés, cocasses et ridicules font écho à la bête qui nous reluque. Seule la jeunesse fait exploser les lignes, jusqu’à se rouler par terre sous les chatouilles d’une servante si vive et si libre qu’elle semble sortie d’une autre pièce. Le chœur des jeunes filles est délicieux, en mouvement permanent, choral et presque éthéré, cherchant le geste et la métamorphose. Mais la soumission aux codes, inséparable du système malgré leur fantaisie, fait craindre le pire. La servante sera symboliquement exécutée : victime émissaire de cette farce, arrêt sur image (audacieux), elle attend, le doigt du bourgeois désigne la porte. Elle sera congédiée, humble femme en noir, dépouillée de ses artifices, elle dont la voix et le geste tonnaient avec une extrême précision – ne se laisseraient jamais faire.

Elle sort, elle sortira, et tout l’art avec elle, c’était trop étouffer.


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L'Hôtel du libre-échange de George Feydeau, mise en scène de Stanislas Nordey, ce vendredi 7 novembre 2025 aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux.

 
 
 

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