
Fleuve en vie
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J’ai rencontré Dosto à dix-neuf ans, une amie montait Les frères Karamazov, je jouais un personnage de femme debout, toute la pièce debout, ce temps long où l'on guette le regard jusqu'à la débâcle des mots trop longtemps gardés, et soudain un ami se jette à mes pieds, son contact avec le sol, j’aurais voulu le rejoindre, mais la pièce disait autre chose, il fallait que je reste debout, et lui au sol
Pendant mes études, avant de me jeter dans l’enseignement, j’ai tourné dans la ville toute la nuit, comme lorsqu’on lit toute la nuit Dosto et Raskolnikov qui est hanté par la hache, qui tombe dans l’angoisse
Maugrée sur l’oreiller, compile des projets de revanche, et soudain commet l’irréparable – se sent assailli de remords
J’ai toujours peur pour les autres : peur que ça n’aille pas, qu’ils souffrent, qu’ils commettent l’irréparable – comme ma sœur, toujours angoissée, qui ne mangeait plus, et qui est tombée
Après j’ai beaucoup marché dans la ville la nuit, avec Dosto dans la tête, comme un souffle à la fois très chaud et froid polaire, le froid de Saint Pétersbourg qui fait presque rêver
J’ai beaucoup écouté la bande originale du film Taxi Blues, si souvent marchant la nuit dans la ville
Dosto, c’est toute une ambiance, et finalement, c’est jamais l’idée d’un châtiment, juste une intention dans la colère, la quête d’une rédemption
C’est par la nuit, par la marche dans la ville, que quelque chose retrouve une forme debout, une bougie dans le ventre
Toute la nuit à marcher finit par traverser le bas des remparts, on suit sa course en murmure, et lui Dosto, dans ses Souvenirs de la Maison des morts, il raconte calmement, la faim, le froid, l’enfermement, rythmant ses jours,
traverse le manque de la soeur, sous les pages fabrique des ponts renouvelés
Parce qu'un fleuve, c’est la plaine surgie en bas du coeur
Ça calme. Il fait frais dans le blues qu'on écoute, parce qu'on a un casque sur les oreilles
On a la force de marcher le long des péniches, ce sont des mères de bois qui gardent des feux de cheminée. Avec, on s'assied en pensée dans leurs énormes ventres. Avec, plus rien ne t’atteint. Il suffit de marcher le long du fleuve, de traverser à son rythme un livre de Dosto
Et puis, avec les élèves hier, on lit des poèmes d’Anna Akhmatova, ses mots sur l’insomnie, c’est doux
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Texte de françoise b., pour Sophie Torresi, créatrice du spectacle "Apnée".
Photographie : spectacle "Quantumotion" de la Compagnie Soul Soldiers.
au festival du 6 novembre 2024 au centre Julien Green d'Andrésy.
Musique : Marion Bourdier et Michel Onomo.
Interprètes en danse : Mounir Amhlin et Florencia Pavon.
Créatrice numérique : Allison Simonot. Régisseuse son et lumière : Lorita Perrot.
Chorégraphie : Emilie Ferreira Saramago. Compagnie The Soul Soldiers.

d'hiver et d'eaux
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Il est possible que cela ne marche pas, cette évocation d'eau qui passe et qui s'égare
Souvent il n'y a pas d'eau, ni mer, ni petit cours d'eau
sous les écrous du désert, il n'y a plus rien à faire
qu'à grimacer visage contre pierre
les crispations caillasses impossibles à altérer
c'est toujours c'est gémi ce désir d'oued, la flamme allumée sous la tente où l'on se laisse avaler par les vents
on se couche dans le sable et le sol devient parcelle de nuit, qu'il faut creuser de la tête, mon oreille part en sourcier chercher les premiers gloussements d'eau, les cratères, les bulbes h2o comme une volonté de raconter à nouveau
alors que tout est cimetière enfoui très profond, c'est toujours la même histoire
ces fantômes d'os, ces éclaboussures échouées à la naissance, la gerbe d'eau écrasée sur le rêve
on n'y arrivera pas, même si creusant, si le fleuve n'y croit plus.
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Fazia Raja
Depuis les sables de Ouarzazate
(photo, juillet 2007 : fragment, le fleuve de l'exil sur le mur de Berlin).
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Création scénique autour du fleuve
Anne Schatzman
Gravures sur revêtement de sol, impressions sur papiers
Texte de Perrine Le Querrec
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à l'amble
Je crois que la marche a commencé dans une galerie sous les arcades tu es apparu à ma gauche comme né à la seconde avec toute l'élégance de l’Italie du Nord nos pas à l'amble jamais ce mot je ne l'avais si bien compris ressenti, ainsi nous avons marché toute la ville jusqu'au fleuve au même rythme à la même musique la cadence de nos corps parfaitement accordée, la corde et le bois la marche notre flèche; par deux fois uniquement nous nous sommes regardés également surpris et souriants de cette connaissance inconnue qui nous liait - caminare - et nous possédait si justement nos sourires se détournaient et revenions à la marche toujours accordés toujours à l'amble traversant des zones de lumières d'ombres des obstacles urbains qui nous voyaient nous arrêter au même moment puis repartir à la même seconde.
Quelle promenade ! nous aurions pu à l’arrivée nous jeter dans le fleuve car tout nous avions tout vécu jamais amour ne fut si parfait si serein si complet ainsi je suis partie à droite du fleuve toi à gauche et ton ombre marche toujours près de moi.
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Perrine Le Querrec​​
A publié de nombreux recueil "Ruines", "Les Tondues", "Rouge Pute", "Le Prénom a été modifié"...
et le très remarqué "Warglyphes" (comment écrire la guerre ?) aux éditions Bruno Doucey.
Son dernier recueil rend hommage au danseur Vaslav Nijinsky...

Daniel René Villermet
Plasticien d'énergies renouvelables
Peinture sonore de pellicules de plusieurs millimètres d'épaisseur de couleurs
Bois-dérivés-métaux, projet dispositif surfaces augmentées par 2
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Texte de Perle Vallens
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Je vais mon débit lent
mais je cache bien mon jeu
entre les gorges la brûlure
de mes crues je divague
j’inonde empreintes-sabordage
je me déborde dans mon lit
mille litres de rêve ourdis
dans version rhodanienne
d’une impatience
que nulle dérive n’apaise
Perle Vallens écrit et photographie, expose et publie en revue, ouvrages collectifs et personnels. peggy m, récit poétique et choral, est son dernier livre (ed la place, 2024).

Daniel Villermet
Frotteurs ma1/3 bois-driv-métaux, projet de partitions, jeu à 4 mains.
Poème inédit de Domi Bergougnoux
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Entre les deux parois d’un canyon érodé
coule un fleuve sans eau
un fleuve fantôme de calcaire et d’oubli
Sa longue cicatrice sinue en scintillant
au fond du lit les écailles des mots échoués
comme des petits soleils sous la langue asséchée
Une lame rougie tranche la chair des pierres
ci-gît le fleuve des ancêtres et sa flèche d’os furieux
Domi Bergougnoux
Orthophoniste en Ile-de-France, elle s’est occupée d’enfants « empêchés » dans leur expression.
Chanteuse de jazz, pop-rock, la recherche de la musicalité est une dimension essentielle dans sa poésie. Elle écrit sur la solitude, la souffrance, l’amour, développe un rapport sensible et métaphysique à l’univers et à la nature.
A publié de nombreux recueils dont « La Craquelure » (éd. Al Manar).
Un nouveau recueil « La chanson à deux bouches » vient de paraître aux éditions du Cygne.

Textes et fragments filmiques
Milène Tournier
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J’ai vu l’arbre suicidaire
Au bord du fleuve
Résister.
…
Ces certaines villes avec
Les rails
Pour seul fleuve
...
Il y avait cette phrase entière
Des leçons géographiques
Que :
Les fleuves se jettent dans la mer
Et ainsi oubliais je
Que c’est en fait l’eau
L’eau qui se jette
Et pas le fleuve lui-même comme un grand homme élancé.
...
Ce poème filmé par Milène :
https://youtu.be/fvGspAA5bGg?si=ssZWfyxj8b9gR6nL
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Texte et film
Milène Tournier
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Fleuve, caricature de sinon juste de l’eau, comptine son épopée plate, rivière les villes en deux comme brouette et brouette
S’animale et longuépaule son silence large d’avant les herses et la géographie, fleuve! Front décrâné de taureau pousse sa persuasion lente, fleuve! où se réverbèrent les réverbères et certains soirs
Canines faibles, comme paquebots de lait, d’être tout si peu,
Se jettent rive et rive les villes et canettes d’août, gambettes ballantes dans déjà bientôt septembre et le retour, Nuit vide, fleuve noir, Cœur déployé fleuve, intime
D’abandonner l’abandon même et
Seulement suivre
Ce qui d’ailleurs n’arrive pas, gris fleuve
Des petites majuscules d’Europe, gencive son lourd dock de décembre sur sa légèreté de chat, fleuve étranger aux heures humaines, aux rythme et tentative, sinon celle, univoque et conquérante forcément, de s’écouler longtemps, fleuve seul à vivre sans créer sa répartie d’ombre, fleuve des villes
A remonter le soir, comme la caresse lasse et profonde des mères, fleuve l’indolent frère des petites lunes nerveuses, qui changent de chaise au même ciel de chaque minuit, comme échanger les lits des nuits superposées, et enterrer
Ciel sous fleuve et
Dresser fleuve, comme oreille de petit chien, hissé là-haut à la poigne marine des morts, fleuve enfin
Revenu ciel -
Le toujours raide de m’avoir ces mêmes mains.
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Milène Tournier
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Texte et vidéo
Milène Tournier
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Je t’imagine mon frère venir ici, au bord toi aussi du fleuve. Les quatre tours immenses derrière, de la grande BNF déployées comme les livres qu’on fait tenir debout sur les tables de nuit pour garder la page. Et tes mains courtes. Le fleuve énorme comme un chien. Et toute une saison en un seul jour, d’un petit ciel de pluie grise. N’y viens pas mon frère. Garde toi de ta tristesse. Garde toi du chagrin. Ne viens pas près d’une mort possible, la, d’en une seconde partir. Ne mets aucune musique dans tes oreilles. Et les quatre tours comme quatre roues d’un grand véhicule invisible et rectangulaire. Ne t’approche pas de l’orteil tranquille et flamboyant du fleuve. Retour! Retourne ville! Va! Comme on remontait l’été a la plage dure après les trop hautes vagues! Retourne ville ventre. N’arrive pas ici, en bord de fleuve, comme arrivent dans les romans et les films tous les mélancoliques, et il faut aller quelques pages après voir s’ils sont toujours là, ou bien confronter et lire, le corps doucement glissé, et la ville n’a rien vu, comme les parents à la plage ne nous regardaient pas toujours. Retourne ville frère et vois d’ailleurs: le petit rang d’élève ou colonie c’est les vacances, c’est les vacances ne te décale pas! Regarde mon frère vois: même la pluie s’arrête au dessus de tes mains. Je t’imagine frère venir ici en mi journée. Et que le fleuve depuis le matin bien sûr soit déjà là. Et les métro de d’habitude, mais vu du point de vue étrange un peu d’être à ton tour le fleuve, le fleuve de ta propre ville, celle de tous les jours et de nombreuses années, et quand parfois tu te demandes: changer de ville, tu ne sais pas bien toi-même, que c’est d’une autre sorte de déménager à quoi tu penses.
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Milène Tournier écrit des livres de théâtre, poésie, et des poèmes vidéos. Son recueil (février 2023, Castor Astral) « Ce que m’a soufflé la ville », esquisse une écriture de la déambulation. Son dernier recueil "Cent Portraits vagues" aux Editions Lurlure.​

Création filmique et poésie
Rebecca Armstrong
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« ce qui coule »
https://youtu.be/4wYdsia1sV8?si=F59lZJVFPBF86z1h
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ce qui coule | entre mes jambes
dans ton lit ce qui naît infime | entre mes jambes
à ta source froide ce qui s’engloutit | dans ma bouche
dans tes gorges mâché le paysage syllabes | dans ma bouche
après syllabes érodé creusé l’avalé | au-delà de ma langue
charriées les feuilles pâles ou brunes ordures entassées | au-delà de ma langue
vase pour empreinte | sous mes ongles
dessine les siècles de l’arbre | sous mes ongles
descends tu descends | contre mon pas
immobile dans tes intonations vagues | contre mon pas
immobiles tes lettres courbes humides | comme mes yeux
tu cueilles un nuage | comme mes yeux
ta langue de rapides de pierres de gouttes | sur ma peau
lui raconte les deltas de sel | sur ma peau
gratté en dessous le temps en colonnes sombres | le long de mon cou
vertical tandis que tu creuses l’horizon | le long de mon cou
endormi et le pont arraché aux villes | en lignes à mon front
inquiètes de ta vigueur de tous les âges | en lignes à mon front
tu vas peu importe ce qui coule | en moi
tu vas peu importe ce qui coule | en nous
tu vas peu importe ce qui coule | en toi
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Rebecca Armstrong parfois écrit. Il y a son livre « un deux trois »
(http://chr-chomant-editeur.42stores.com/product/rebecca-armstrong-un-deux-trois-poesie).
Il y a sa newsletter « Les mots grattent » (https://open.substack.com/pub/rebeccarmstrong).
Il y a sa chaîne YouTube :
https://youtube.com/playlist?list=PLsH4cysCr9vBOZJjQm-vrTnANwO50VzqS&si=UFuHk-ahtSlJTP4z
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Photographie de Linda Sorrenti
Texte de Tristan Mat
| Cinq lustres de Tibre |
Hier j'ai suivi la rue du fleuve.
Dans l'autre langue, un seul mot pour fleuve ou rivière : la mer n'est jamais loin, la plaine est toujours brève. Elle est étroite cette rue, pavée, sombre. Elle bute sur les contreforts qui contiennent les crues, murs l’entourant comme une enceinte.
Je passe chaque jour sur le pont aux statues. Je ne vois que le vert, la boue sur les berges. Un soir, elle s'arrête : dix ans passés. Elle s'est tournée vers moi. Elle m'adresse une parole. Nous sommes trois et son nom a trois lettres. Nous nous engageons : on ne traverse pas le pont.
Le fleuve vit de verbes. Souvent je me suis approché, comme pour m'y jeter. Soudaine est la lenteur. Sur la berge, au ras, on se demande quel est le sens de l’eau. On ne peut aller plus bas. Il est trop calme, trop lourd ; elle est trop lourde, trop calme, l'eau.
Au soir, il y a des images à la pointe de l'île sur une paroi n’existant que pour elles : je suis venu avec elle. C'est une île assez grande pour qu'il y ait une église, un hôpital où l'on vient naître, assez petite pour qu'on puisse l'embrasser tout entière du regard. Son nom est presque celui de mon pays.
Je me souviens de la plus grande crue, sa lenteur dans les jours passant. C’est l’inexorable, une beauté que rien n’arrêtera. Au soir, je suis parti presque en courant du palais. Là où il y a eu un port, où une église est dédiée à mon nom, je prends pris le pont, je suis son arc. L’eau lèche le sommet de ses arches. Je fuis comme dans le rêve.
Un pont puis l’autre à ses côtés, jusqu’au ghetto, là où une image de l’ombre a été prise avant nos naissances. Dans l’été étiré, il n’y a pas d’ombre : les mots ne sont pas trouvés.
Sur l'autre pointe de l’ile, une langue dallée s’avance à la rencontre des eaux, une esplanade vide. J’étais au soleil, à l’extrémité.
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Nous marchons après avoir bu le long des berges, occupées par la foire. Nous allons jusqu'au pont brisé depuis deux mille ans avant de revenir dans la nuit. Elle fait une image : l'arche et son reflet formant un cercle. L’amour est à venir.
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On reste dans le temps, on ne descend pas dans le fleuve. Il entre en lui-même inventant la lettre Y.
Linda Sorrenti, https://www.instagram.com/lapidalagallina_0.2/
Tristan Mat, tristanmat@yahoo.fr
https://www.tristanmat.net/
https://www.facebook.com/tristan.mat.735
https://www.instagram.com/mat.tristan/
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Toile "Estuaire" d'Anne-Marie Pamelard
Texte de Fabienne Savarit
"Estuaire"
Naufragée
Baigneuse solitaire
j’ai goûté l’iode
Là où l’horizon plonge vers les îles
à l’aplomb des falaises
j’ai jeté un sort à l’estuaire ébloui
qui courbe ses lignes
mêlant écumes et méduses
à la blancheur crayeuse des galets
devenue cime agitée
bleu cérulé
je marche et roule sous la houle
plongeant vers des joyaux piqués du sel des mémoires
les barques dessinent le paysage
de leurs écailles colorées
d’un souvenir éclatant
qui se jette dans la mer
la mer, une langue
léchant ma peau d’un été
et le rêve s’acidule du regret
d’avoir oublié le goût de cette eau-là
​
​
Fabienne Savarit
Je me nourris des couleurs du littoral et laisse les histoires m'emporter dans leur sillage poétique. J'aime la douceur des mots et cheminer à la lisière du rêve.
En ligne :
Instagram : @fabienne_savarit / Facebook : fabienne savarit
https://www.autourdesauteurs.fr/fabienne-savarit/
Anne-Marie Pamelard
Souvent je dévisage des inconnu-e-s
Avec ma gouache et mes crayons de couleur je voyage sur leurs visages.
J'aime faire cohabiter les inattendus et composer des chimères.
En ligne : Instagram : @365zanne

Toiles, composition, collage et texte
Anne Dejardin
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Corps
rêve de bois
flotté
délesté
d’une porosité perdue
roulé, roué, battu, immergé,
à dissoudre les séquelles, user les cicatrices
comme verres de mer
épiderme lissé, peau polie
au Fleuve d’origine,
son nom comme mugissement familier,
mouiller
y (en) imbiber les aspérités de l’écriture.
En surface : le calme.
​
Anne Dejardin
Son dernier livre "Elle parle des corps" aborde le thème de l’abandon à travers la douleur de différents personnages. Elle poursuit sur son blog et sa chaîne YouTube l’écriture de microfictions à partir des noms de villas d’une station balnéaire de la Manche qu’elle a intitulé : « Le nom qu’on leur a donné… »

Texte d'Anne-Laure Mouchette
longtemps enseignante à Kawéni au lycée des Lumières de Mamoudzou (Mayotte),
aujourd'hui elle rend hommage à la Moselle, sa nouvelle terre d'accueil.
À la source
Avec toi
Mon bébé de quelques mois
Je suis revenue
Dans cet Est continental
Avec toi
Et nous sommes allés
À la source de la Moselle
Il faisait beau, il faisait chaud encore
Des cyclistes se dirigeaient un à un, et dans l’effort, vers le col de Bussang
Nous les avons encouragé un instant
Et je ne sais pas pourquoi
Mais de l’eau au bout des doigts
Sur ta peau encore si douce
J’ai déposé quelques gouttes
Et puis nous avons regagné la vallée
Avec toi
​
Anne-Laure Mouchette​

Texte et photographie
Juliette Derimay
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Fleuve bois
Si j’étais ébéniste, je me consacrerais au fleuve. Il me faudrait du temps pour la contemplation, l’apprendre dans ses détails, les arbres de ses berges, les veines de ses courants. Explorer ses musiques, ses grondements, ses petits bruits, ses reflets, ses couleurs en fonction des saisons, des heures de la journée et puis du temps qu’il fait. Le regarder grandir, du torrent du début, jusqu’au sage au grand calme, prêt pour le grand voyage de rejoindre la mer.
Une fois ces études faites, je choisirais le bois, sûrement un tronc entier pour suivre tout son cours depuis la fluette source jusqu’au large delta. Choisir le bois pour ça serait l’instant décisif. Il faudrait que tout puisse s’imbriquer parfaitement. La couleur et la forme, le grain et puis les veines, les branches comme affluents. Choisir tous les outils adaptés tant au bois qu’à mes gestes et pratiques et puis trouver l’endroit, un endroit de grande taille pour que je puisse voguer autour du fleuve à venir, et puis un escabeau pour le voir de plus haut, comme le voit un oiseau.
Une fois mon fleuve fini, il faudrait l’installer au centre d’une grande place, en plein air ça va de soi. Il faudrait expliquer aux gens le sens du fleuve, la source et l’embouchure, qu’il est toujours le même, qu’il a juste accueilli, tout au long du parcours, d’autres eaux dans les siennes. Inciter les riverains à le voir en entier, du début à la fin, tout comme le ferait un bateau de papier déposé à la source. En suivant le cours du fleuve, leurs mains suivraient les mots, filet, torrent, ruisseau, cours d’eau et enfin fleuve. Ce serait de l’eau solide, sans risque de se noyer.
Et puis le temps passant, le destin du fleuve bois est facile à prévoir. Érodé par la pluie, épuisé de soleil. Crevasses et fissures, tags et coups de couteau, initiales enlacées et autres accidents auront raison de lui. Alors il sera temps de le réduire en pulpe pour en faire du papier et ensuite y écrire son histoire de fleuve bois
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Juliette Derimay vit actuellement dans les montagnes de Savoie et travaille dans un labo photo de tirages d’art, activité qui assure le quotidien ainsi qu'une bonne partie de son inspiration pour l'écriture. Ses textes laissent toujours une grande place au dehors, vous pouvez les retrouver sur son site https://www.les-enlivreurs.fr/ . Publications : « Voyage en Irréel » avec le photographe Nicolas Orillard-Demaire (https://nod-photography.com/) et nombreuses participations à des ouvrages collectifs​.

Photographies et texte
Françoise Renaud
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Il court vite et large. Il emmène sa couleur de limon entre berges. Il est énorme et impressionne.
Avec la fonte des neiges au printemps, le fleuve court tel un fou — impossible d’imaginer ses force et largeur sans l’observer en vrai — et ses eaux sont sacrées. Je me souviens. Il avait submergé les plaines cultivées, celles qui s’étendent en face de Kâshi, la cité en grès rose édifiée sur sa rive gauche il y a cinq millénaires. Il avait aussi grignoté le territoire construit, avalé une partie des ghâts. Si les crues géantes ont influencé l’extension des bâtiments, les hommes ont appris d’elles. Ils savent déplacer leurs affaires au gré des hautes marches et des terrasses pareilles à un monde flottant.
Il court cavale ronge dévaste.
Il brasse dauphins, fleurs et morts.
Le fleuve prête son flot aux pèlerins venus de tous les coins du monde pour laver leurs péchés. Prières et offrandes, yonis_lingams, couronnes de fleurs au soleil. La ville ressemble à une citadelle. On l’a baptisée « la lumineuse » — et bien d’autres noms encore. En vérité ce n’est pas elle qui brille, c’est l’autre rive en face, celle qui est cultivée. Quand le fleuve se retire, il abandonne la terre nue, et cette terre devient blanche de lumière, si blanche qu’elle aveugle et ressemble au désert. Sables et limons réfléchissants. De loin on voit les paysans revenir par petits groupes pour planter riz et légumes, suppliant les dieux d’accorder de belles récoltes.
La rive blanche permet de poser les yeux quand on marche au bord de la ville. La rive blanche devient l’horizon de la ville.
La rive blanche éblouit celui qui médite.
Je n’ai pas vu de pont à hauteur de Kâshî pour rallier les champs de l’autre côté, seulement des embarcations qui traversent, portées par le ventre brun et gonflé de Ganga. Les bateliers l’appellent Ganga comme s’ils prononçaient le nom d’un ami respecté.
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Françoise Renaud
De nombreux ouvrages publiés depuis 1997 (roman, poésie, jeunesse, beau livre) et publications en revue. Biblio ici:
https://www.francoiserenaud.com/bibliographie/bibliographie-complete/

Photographie de Françoise Renaud
Texte de Gaëlle Lavisse
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Lettre à toi ‘’Ewe’’
Toi que je m’autorise à apprivoiser « Eau » des fleuves, des sources où je m’abreuve, des mers et des rivières, des étangs, de l’océan
Tu es ma plus grande attirance et a été ma plus grande peur, enfin celle transmise par ailleurs. Elle n’est pas mienne.
Toi la première comme une mère...ta présence se veut rassurante dans mes moments d'égarement...de doutes...de tristesse passagère.
Comme une mère, tu me tends les bras et me berces doucement de ton chant. Tu m’entoures de tes couleurs bleu-vert-or
Près du petit pont, je regarde l'horizon, et me délecte d’une tasse de silence, il y a peu de distances...Ciel j'admire ton reflet dans l'eau...des écailles scintillantes de couleurs brillantes comme des petites lucioles d'étoiles unis-vers-celle.
Les feuilles rousses mordorées se mirent dans l'eau comme dans un miroir ...le vent est léger et froid. Il glace la peau. Quelques outardes dansent et volent ...
Se confier en pensées de mots
O fleuve toi qui connais les tempêtes que j'ai traversées...certaines plus difficiles que d'autres...du genre celles qui claquent et déchirent...celles qui paralysent et te brisent t'empêchant d'avancer ...ces tempêtes qui parfois t'enfoncent la tête dans l'eau comme pour te noyer tout comme ce flot de mots et de pensées sombres desseins...celles qui te déstabilisent et sans affection aucune sont d'une extrême violence. Telle une droite qui te percute.
Vous aussi ‘’eau’’ de toutes sortes vous en connaissez des tempêtes lors de grands vents... avançant...reculant...parfois créer de mains d’hommes, ou simplement de la nature se rebellant.
Être auprès de toi m’apaise et me berce, alors qu’on faisait tout pour m’éloigner, on te disait dangereuse, tu nous prendrais dans tes filets. Ewe.
N'es-tu pas celle par laquelle je suis née ?
....des mots en pensée...d'une mémoire d'un passé...des odeurs de bleu au mauve.
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Gaëlle Lavisse
parcourt toutes les régions et les écoles avec son bel atelier d'écriture "Dis Petite".

Texte et photographie
Mokhtar El Amraoui
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Chagrin d’oued
Ne pleure pas Joumine,
Oued de mes dix ans !
Mon ombre se dessine,
En haillons lumineux, sur tes étoiles.
Ne pleure pas !
Cette poupée, fée de lyre,
Danse sur les lames de l’horizon,
Tranches de nuit
Que tu bois dans tes ivresses,
Oraison des séparations.
Ton supplice qui atteint mes lèvres
S’agrippe à mon cou et le serre,
Comme un chant solitaire
De vin bu à tes naissances.
Il me baigne, de lauriers, jusqu’à l’absence.
Danse, mais danse donc, mon oued !
Chasse, au loin, cette affreuse mine morose !
Reprends ton cours heureux !
Regarde, sur tes doigts roses,
S’est posée une colombe bleue !
Ecoute ses caresses !
Ce train, pour lequel clapote
Le mouchoir de ton onde,
Ne reviendra plus !
Ô ne pleure pas !
Mais ne pleure plus !
Chasse, donc, tes détresses !
Patience, car, un jour, tout cesse,
Dans ces roulis de la vie !
Rendors-toi, dans ton lit,
Mon oued et oublie !
*Oued qui traversait ma ville natale Mateur
© Mokhtar El Amraoui in "Arpèges sur les ailes de mes dix ans"

Création picturale "Geste" de Pierre-Yves Freund
Texte de Catherine Serre
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Ses bottes de caoutchouc heurtent le trottoir, claquent dans l’eau des flaques. A marcher ainsi, elle divise la ville derrière elle. Les humeurs fluviales du côté-ci de la ville sont franches et nettes, presque trop ouvertes, un alignement continu d’immeubles imposants, une enfilade de ponts massifs offerts à la circulation des voitures. La marcheuse coupe la ville sans gêne de la pluie. Elle avance trop fort. Trop vite. Elle avance, volontaire. Elle va, frontalement. Corps jeté dans la chair de la ville. Elle traverse un pont non loin de la confluence où le fleuve va grossir des eaux de son affluent, une rencontre comme deux jambes enlacées. Quelques centaines de mètres à peine et elle passe un autre pont, sur la rivière cette fois, laissant dans son dos la presqu'île. La rivière est à son point le plus étroit à l’entrée du méandre. Une colline la surplombe avec une petite gare nichée à son pied, terminus des lignes ralliant les bourgades de l’ouest. De la cathédrale au sommet de la butte, on voit le haut de deux tours étrangement évasées. La marcheuse jette un regard à la gare, devine la rue à sa gauche montée et descendue tous les jours du temps de l'appartement, de la vie en communauté. Elle tourne à angle droit au bout du pont pour suivre la rivière vers le nord, elle marche au coeur de la géographie abrupte de la ville, l’étroite vallée taillée par les eaux entre deux collines, d’un côté la cathédrale et de l’autre en face la colline bâtie d’anciens forts militaires, de murs élevés très hauts, protection contre d’anciens ennemis. Elle passe auprès de la falaise creusée en grotte avec la statue de L’homme de la roche, les immeubles sont collés aux parois verticales des balmes, on y devine des passages étroits, des escaliers raides dressés vers les hauteurs. Les quais sont dominés de rochers et de pierres, la rivière a mauvaise réputation dans ce tronçon, les mariniers conduisant les péniches en connaissent les pièges et les dangers, bas fonds et courants accélérés, on y voit par beau-temps des bateaux de loisirs et quelques rameurs dans leurs skiffs, on y découvre toute une vie d’oiseaux d’eaux, mouettes, cormorans, cygnes, au printemps on peut y avoir la surprise d’un passage d’oies sauvages ou de grues haut dans le ciel, large formation en v sur la route des migrations. Un tronc d’arbre charrié comme un esquif tournoie et révèle la force du courant, il glisse, il s’enfonce et réparait, on devine l’élan puissant de l’eau. Toujours allant, deux flèches la frôlent et l’ignorent, déjà disparues. Elle en a le regret des oiseaux à peine entre-aperçus, elle accélère à leur suite à pas rapides, presque affolée. Elle espère d’autres éclairs furtifs, d’autres envols. Elle arrive là où se tient un minuscule marché dans la pluie de juin, elle regarde les étals tout éclaboussés de cerises. Elle en achète un sac, et commence à manger, par deux, trois, quatre cerises à la fois, elle en remplit sa bouche, et dans un excès de chair et de jus, elle engloutit cette nourriture rare, douce, fugace en saison et si vite absente. Pour mieux sentir le goût. Les cerises tournent entre ses dents, s’écrasent sur son palais, sa langue guide les noyaux pour les écarter au moment d’avaler une bouchée de plaisir, un goût de fruit et de pluie.
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Ce matin, à l’heure de la pluie, je la vois de loin et je me réjouis de cette rencontre quand elle en est troublée, et sans attendre elle m’explique, sa façon avec les cerises, dit qu’elle a presque fini, et doit finir, je lui propose de nous poser le long des berges, elle préfère marcher. Un peu plus bas vers l’aval, nous prendrons la passerelle puis chacune suivra son chemin, les gouttes de pluie dansent à la surface de l’eau, y découpent des parcelles de lumière, rivière et ciel jouent à Gouttes veux-tu. Elle mange sans parler. Elle m’écoute. Un enfant, cette fois c’est sûr. Elle recrache une volée de noyaux par-dessus la rambarde, et force dans sa bouche quelques fruits piochés dans le sac. Ça ne se voit pas, pas encore, ce sera pour cet hiver. Elle commence par s’étouffer, a du mal à respirer le temps de mâcher, d’écraser la pulpe des fruits pour ensuite trier les noyaux, et avaler. Encore quelques pas, elle ne dit toujours rien, le sac est vide, elle le froisse et le fourre dans sa poche. Si tout va bien ce sera pour cet hiver. Au bout de la passerelle qui se balance quand on la traverse, au moment de se dire au revoir, elle tourne la tête vers moi. Elle articule Le voyage de la Chine. Tu ne viendras pas.
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(texte en variation fluviale d’un passage de Soleil Ogre - à paraître Printemps 2025 - édition L’Arbre à paroles)
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Geste, empreinte de main et pétale de fleur - Pierre-Yves Freund / dessin.
Catherine Serre
https://www.maisondelapoesie.com/catalogue/la-maison-de-mues/
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Création picturale d'Isabelle Becker
Texte d'Emmanuelle Rabu
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"Charon en question"
Souris, nocher Charon
Ne fais pas grise mine
et yeux charbon
si je défie la loi divine
entre les rives de l’Achéron
Manque d’obole dans leur galère
les âmes désertent les corps
Quand les dieux fourbes mènent les hommes en guerre
ils n’ont que faire de tes transports
Leurs armes et leurs os s’effritent sur terre
Change de cap, marin percheur
Je suis ta barge piquée des vers
qui se détourne des noirceurs
Du Styx allons chercher les bras ouverts
les canotiers sur le fleuve enchanteur
Naviguons lestes, Daron
De vie à trépas et vice-versa
les liens du cœur tissent un pont
que les âmes paisibles traversent par-delà
les fureurs d’un Cerbère dénué de raison
Nous voilà affranchis du devoir de péage
Je suis la barque chargée de tes vers
et le flux sans limite nous invite au voyage
Vers la source ou vers l’estuaire ?
Libre à nous de tracer le sillage
Emmanuelle Rabu
Aux éditions Jacques Flament, désormais Les Amis de Jacques Flament Éditions qui poursuivent l'œuvre de notre éditeur regretté : "1492-Amphores poétiques", Prix de la Poésie des Salines 2021 (calligrammes) et "Gris sauvages" (photos).
Chez Flatland éditeur : "Le chant du Coq" dans l'anthologie de SF "Animal ad hominem".
Dans les revues en ligne ou papier : Lichen, The Outlaw poetry, Festival Permanent des Mots, Traction-Brabant, Litt'Orale, Cabaret, Méninge, Possibles... et bien sûr, les formidables Villes en Voix.

Photographie "Léthé" d'Emmanuelle Rabu
Texte de Nicolas Bleusher
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"Passer le pont"
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La force est dans le fleuve…
Sous l’eau verte vont les dragons luminescents.
Il faut passer le pont, emmitouflé dans l’air.
Une pluie rousse au pavé cloue les feuilles mortes.
Il faut passer le pont. La nuit m’offre son bras.
Arrivé tardivement à l’écriture, Nicolas Bleusher partage ses compositions – toujours en court et en prose — via des blogs personnels, participe à des revues, des ateliers d’écriture. Il est présent sur le réseau social Facebook.
Il regroupe une première sélection de textes sous le titre L’embarcadère publiée par Jacques Flament Editions en 2019. Son dernier recueil, Vers midi moins gris, est disponible en auto-édition chez TheBookEdition.com

Toile du peintre José Noce
Texte de la poétesse Zohra Mrimi
Ta main c’est l’eau,
C’est le soleil
Et je bruisse quand j’ai chaud, quand j’ai froid
La pluie fine imite tes caresses
J’envie la mer, tu t’amuses à dessiner sur le sable
L’écume, c’est ma main sur ta main
Et bientôt je découvrirai ton sol,
il respire,
transpire comme un homme
ZM pour le poème. Recueil publié aux éditions Z4, "Le jour fait l'adieu",
et "Le nom de mon éternité" aux éd. L'Harmattan.
TM pour la photo ci-dessous.​​
​

Photographie de TM et Zohra Mrimi
Texte de Virginie Séba
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Deux tâches contradictoires
qui font tache
Tache dans mon horizon matinal
Deux tâches l'une et l'autre
Faire les comptes
Curatelle de mon fils
Envoyer Tribunal
Fournir bilan balance
Compte association
Connaissance du client
Et surtout ne pas s'en balancer
Mais bien balancer
à la virgule au centime près
Fournir les preuves
les ceux-ci les ceux-là
Compter et recompter
Ne pas raconter
Et puis écrire un poème
Oui
Et ma tête une grande mâchoire ouverte
qui ouvre et ferme son clapet
automatique
Le crâne fendu en deux
Un poème pour ne pas couler
ou couler
Les chiffres flottent enflent
Dans la casserole les poires blettes
avec gousse de vanille fendue
non pas fendue
pas eu le temps
Ça gougloute dans le cerveau
Ça gougloute entre les mots
Ça gougloute dans la casserole
Qui va déborder en premier ?
Les mots les flots
Qui va sombrer purée de fruits trop mûrs
Non non ne croyez pas
je veille
Entre chaque vague reprend mon souffle
Objectif ramer du canapé vers la chambre
Vider l'eau qui coule s'écoule
Éponger s'habiller sortir
Et poster les comptes les histoires
les acomptes
Là-bas à Avignon
une maison m'attend
La compote sent bon
​
Virginie Séba​​
Poétesse slameuse engagée, Virginie Séba écrit, déclame et anime des ateliers slam centré sur l’oralité posturale, une méthode originale développée au fil du temps.
A son actif, un clip Dame Chique Tache et plusieurs créations de spectacle dont l’incroyable Sister Rosetta Tharpe, pionnière du rock’n roll, qui se jouera de nouveau au festival off d’Avignon juillet 2025
A publié Familles sur table, en duo avec Aline Recoura, poétesse plasticienne, aux éditions L’Ire de l’Ours, avril 2023
Et marche nage Vole aux Editions Lunatique, février 2024
Présente sur la scène internationale, a été invitée au FISPA en octobre 2024 (festival de slam poésie en Acadie) et conviée février 2025 au mois de la francophonie à la Bibliothèque d’Alexandrie
Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.slamchante.fr

Détail d'un triptyque extraordinaire du peintre Claude Bolduc
Texte de Fazia Raja
​
Nous nous sommes toujours ennuyés près du fleuve
c'était l'été en Seine-et-Marne au confluent de la Seine
et de la Marne - cette chose macabre
il faisait désert dans la cité haute et perdue
nous passions nos journées à y jeter des marrons
des pierres des osselets
des crachats des digues de soi des hurlements des hystéries
des frayeurs en nuits d'orage des tromblons austères
des brigades
des tueurs des têtes coupées sur le palier
nous y jetions tout
l'ennui empêtré dans nos bouches
nos cavalcades d'enfants ivrognes
suants d'un manque profond
et puis tout cela partait sang par dessus tête
le rien foutre de sa vie de fleuve
gorgé du sang foutre des nôtres
et c'en était fini.
​
Il fallait rentrer.
Et ne plus rien jeter.
​
Fazia Raja
(vit hors les murs, au sud de Ouarzazate)​.​

Photographie et texte
Helena Barroso
​
Un fleuve berçant mes pas
​
Quand rien ne bougeait encore, je le regardais, à la recherche des mots qui diraient en oblique ce que j’avais pensé droit, surtout ne pas afficher la vérité qui me percerait le cœur si j’osais la dire trop vite. Il était la métaphore parfaite pour tous mes états d’âme, le reflet de mes pensées sombres, il était la profondeur quand je ne voulais que la surface. Je me suis mise à le traverser souvent, le cœur en chavirement, l’élan encore solide d’un possible entre mes mains. Le laissant derrière moi, bleu, vert-mauve, embroussaillé du coton des nuages, le retrouvant toujours docile et muet à mon passage. Aller, retour, aller, retour, et lui toujours là, supportant sans inquiétude bateaux, mouettes, les impossibles brouillards, le soleil ciselant ses vaguelettes blanches. Il connait ma vie, la connait par cœur, mieux que moi-même, il la coupe en deux à chaque voyage.
​
Helena Barroso
"J’ai longtemps pensé, en contraste avec toutes les histoires que je lisais et qui rendaient indistinctes les limites du probable, que je n’avais aucune imagination et que l’écriture n’était pas une option pour moi. Puis, un jour,
j’ai écrit une histoire, puis une autre, et encore une autre. J’ai découvert que je vivais
autrement quand j’écrivais, que l’état dans lequel me plongeait l’écriture était à la fois
effrayant et magique, que celle-ci me permettait d’aller voir ailleurs et autrement ce que je ne
voulais pas regarder en face."​​​

Photographie "La Seine en statue" et texte
Piero Cohen Hadria
​
Le Nil
Le Congo
L’Uele
L’Amazone
L’Hudson et le Niagara
Le Saint-Laurent
Le Gange
Le Brahmapoutre
le YangTzé
Le Mékong
L’Euphrate et le Tigre et le Tibre
Le Guadalquivir à Séville
Le Tage le Tage le Tage
et puis le Po, le Rhin et le Danube, le Dniepr ou la Volga
et la Seine qui elle
préfère voir les jolis bateaux se promener sur elle/ et au fil de son eau jouer aux Caravelles
Sur la Seine
et quand la musique s’alentit
Et les autres/ceux qui en ont assez/parce qu’ils en ont vu d’trop
Et qui veulent oublier/alors i’s’jettent à l’eau
les mots de Francis Lemarque qui se prénommait Nathan
ces mots chantés par Yves Montand qui lui se disait Ivo
et L’Atalante est-ce sur elle ? À Paris (le camelot/chansonnier/séducteur, joué par Gilles Margaritis, tu vois qui ? La piste aux Étoiles…)
Elle, là
et dans l’une de ses boucles
Paris
​
Piero Cohen-Hadria
Blogueur impénitent (http://www.pendantleweekend.net/ collectif au départ), je soutiens des aventures
participatives : je travaille avec des artistes écrivains : au sein du collectif L’Air Nu -
https://www.lairnu.net/) (avec Anne Savelli et Joachim Séné) où je défends, entre autres, un certain
cinéma; au sein du collectif maison[s] témoin (http://www.maisonstemoin.fr/, (avec Christine Jeanney)
plus librement blogueur (écritures, cinémas, voyages, images)); commentant les poèmes-express de Lucien Suel (http://academie23.blogspot.com/) cinéma encore prépondérant (mais aussi chansons); j’aime aussi beaucoup travailler avec mon ami Denis Pasquier, (hélasilnous quittait en décemre22- mais reste toujours avec moi cependant) (à moi que ce ne soi tmoi qui reste avec lui) photographe (https://denispasquier.com/fr/accueil) où il éditait ses ouvrages, auxquels je collaborais par l’écrit – je reste mais je n’oublie pas – beaucoup d’autres encore, en commentaires, images, ou cinéma – parcours personnel sans doute (je suis aussi sociologue indépendant), mais avec les autres aussi, toujours.​

Carte topographique créée par Blandine Giambiasi
pour dessiner le parcours de 3 semaines de marche (385 km)
le long de la Charente, pour son oeuvre "Le goût d'un fleuve".
Texte de la romancière Astrid Waliszek
​
Il est brun, boueux. Les fleuves sont bruns, bruns comme la terre ne l’est jamais sauf quand elle est gorgée d’eau. Les fleuves sont bruns l’hiver, ils la diluent et n’en gardent que la couleur - la terre qu’ils ont charrié, on ne sait pas où elle est passée.
J’ai toujours aimé les fleuves. Enfant, j’habitais au bord du Rhin – les fleuves emportent les frontières, les rendent à elles-mêmes liquides, les font disparaître. Depuis longtemps on se sert d’eux pour marquer le partage des terres. Ils ne les partagent pas, ils les lient, les rendent fertiles, leur servent de creuset ; le partage est une illusion.
L’eau douce des fleuves. Là, ell.
​
Astrid Waliszek a écrit de nombreux recueils (éd. Jacques Flament...), et le fabuleux roman Topolina (aux Ed. Grasset).
Blandine Giambiasi est l'autrice de l'ouvrage insolite (témoignages, recettes...) Le Goût d'un Fleuve, La Charente" aux éditions La Nage de l'Ours, Prix de la ville de Saintes, Académie de Saintonge 2024.

Composition photographique de Gracia Bejjani
Textes et films vidéo-poèmes
​
comme presque
l’asphalte porterait nos pieds
comme presque terre — sans l’humus
l’asphalte, rugueuses semelles
elle a été enceinte, presque mère
enceinte, pas mère
on dormirait à peine — nuits de surface
on se raconterait
illusions contiguës
c’est presque un feu,
chaleur électrique
est-il encore fils, orphelin depuis
​
le corps comme matière
nous colle à la peau
​
on serait presque poète
presque écrivains
​
nos ombres
de nous débarrassées
​
ce serait presque un dialogue
dans la lenteur des solitudes
​
j’ai presque tes mains mon frère
​
le chant, longue plainte ralentie
de cette fatigue figée
​
tremblements de terre — humains dévastés
une quasi guerre
​
et tout serait presque
le presque absolu.
​
Vidéo de ce texte :
https://www.youtube.com/watch?v=o7p9o9S3v8A
Gracia Bejjani
Site : graciabejjani.fr
Chaîne : youtube.com/c/graciabejjani
​

Photographie d'Hélène Gaudy
Texte et Vidéo-poème de Gracia Bejjani
​
​
il sera ma peau,
enveloppe de chaleur grasse
m’enroulera comme phrase
je le retiendrai en moi,
araignée qui fige le monde
— petite œuvre
je rêverai sa matière
refoulerai mes bras suspects
il sera mon errance déplacée,
la nécessaire retenue
je serai sa végétale, sa tout
on tombera comme miettes
je serai son impolie parfois
barboterai sourire sableux entre les dents
sans intention, sans trace
il sera ma vanité mineure
je me ferai mâchoire,
comme s’accroche la révolte
m’adosser à ses mots
il sera ma révélation,
mon salut
je serai sa nuit
sa seule, sa tout
Vidéo de ce texte :
https://www.youtube.com/watch?v=LoxXzEfib-M
Gracia Bejjani
Site : graciabejjani.fr
Chaîne : youtube.com/c/graciabejjani
​
Photographie d'Hélène Gaudy (au village de Lagrasse).
Autrice de nombreux romans, dont "Un monde sans rivage", "Archipels" (Editions de l'Olivier).​
​

Texte et photographie
à la confluence entre Seine-et-Marne à Maisons-Alfort.
Catherine Plée
​
Jamais deux fois
Dans le tableau de ma fenêtre, un fleuve est là
livide
et fluide.
Jamais le même, je ne me baignerai pas. Jamais une fois.
Dans le tableau, un fleuve étire ses fils et les peigne dans le sens du courant circuit-court pour se rendre à la plage. Un fleuve vit fort son désir de mer et la nostalgie de la source mais un fleuve en exil ne retourne jamais d’où il vient.
Dans le ventre de la mer, un fleuve s’écoule.
Ce n’est pas l’océan, juste un fleuve qui a perdu ses rives
Au saut du lit, un fleuve déverse ses larmes d’eau, je cherche les yeux horribles…
Jamais deux fois.
Un fleuve au tableau de ma fenêtre n’a pas de bouts, ni source ni issue, ni de bouchon à l’embouchure.
Je rame au-dessus des jardins. Je rame au-dessus du terrain de foot, je rame au-dessus de la cour d’école, je rame au-dessus des autoroutes, je rame au-dessus des forêts et des champs. Le bois craque, je rame… Un fleuve murmure au tableau de ma fenêtre. Les voitures mortes nagent le ventre à l’air. Des livres ouverts attendent de vieux lecteurs presbytes. Ce sont nos maisons. Des poils de barbe pointent sur les joues de l’eau et inspirent le ciel, ce sont les marronniers. Je rame et je les rase. Jamais deux fois ? A l’infini un fleuve étirent ses fils.
Entre mes os, un fleuve court et fait l’océan. Je devine des yeux horribles.
​​
Catherine Plée​​
préfère les levers du jour aux couchers, l’été à l’hiver, le printemps à l’automne, la joie au bonheur, c’est pourquoi elle a écrit un récit intitulé Être l’été, a écrit aussi des nouvelles, a de nombreux chantiers en cours, coud, brode, bidouille des tas de trucs pour que les heures content…

Photographie de Frida Kahlo sur le Rio del Norte (1936)
Texte et chanson de Laurent Peyronnet
​
On envoie pas en excursion deux cent touristes par le fond.
Ça fait vingt ans que j'suis coursier
entre Sully et l'pont d'l'Alma
j'conduis des touristes par paquets
moi qui rêvais de Panama
Ça fait quinze ans que j'ai échoué
au concours qui t'donne les longs cours
aujourd'hui j'ai les yeux cernés
mes Hespérides c'est Clignancourt
Je regarde par mes hublots
les mouettes qui remontent la Seine
leurs cris se mêlent aux camelots
et moi je pleure sur mes sirènes
Si j'avais eu un peu de vent
si j'avais eu un peu de pot
je t'écrirais pas si souvent
mais on s'ennuie dans un cachot
Ici le ciel se voit à peine
les poissons portent un uniforme
j'irais jamais aux Lofoten
je doubleras pas le Cap Horn
Les journaux t'ont parlé de moi
du coup qu'j'ai fait au pont d'l'Alma
tu sais ces trucs là s'expliquent pas
tout allait bien et puis voilà
J'en ai eu marre de cette rengaine
de faire toujours le même trajet
sous les ponts où coule la Seine
comme un capitaine au rabais
Alors j'ai pris un coup de sang
j'ai su qu'je partirais jamais
qu'j'étais condamné d'puis vingt ans
et que jamais je ne saurais
Ce que c'est qu'un beau naufrage
une chouette panique sur un pont
j'en rêvais quand j'avais ton âge
aujourd’hui j'l'ai fait pour de bon
Demain j'irais au tribunal
les proches des victimes pleureront
y a plus de peine capitale
mais je n'me fait pas d'illusions
Y a eu mort d'hommes et c'est infâme
jamais ils me pardonneront
d'avoir préféré à leurs âmes
la douceur de mes illusions
On envoie pas en excursion
deux cent touristes par le fond.
​
Sa vidéo où il interprète magnifiquement (chant et guitare) sa chanson :
https://www.youtube.com/watch?v=TTmIFlY1dng
​
Spécialiste du grand nord scandinave, Laurent Peyronnet exerce le métier de guide en Norvège, Suède et Finlande, principalement dans les régions de Laponie. Sur les routes une moitié de l'année, il consacre l'autre partie de son temps à la littérature.
​

Toile de la peintre Linda Clerget
Création vidéo et chanson par Françoise Guillaumond
Interprétation des "Couleurs de l'automne", au chant, piano : Hervé Aubin
​
https://www.youtube.com/watch?v=Iqx5pLJXqYs
​​
​
S'en suit une superbe création graphique
"Flux"
de la plasticienne Erika Bournet Delbosc
https://erikabournet.fr/ ​​​

Toile d'Erika Bournet Delbosc
Texte de Nathanaëlle Quoirez
​
jusqu'à la mer les eaux du siècle
enfin se rêve le secours de la forme sacrée
silence devant les forces précédentes
et leur couteau d'éternité
​
retour du minuscule
et la pudeur amante
le bien commun d'humilité.
​
Nathanaëlle Quoirez est née dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1992. Elle travaille ses voix et bricole quelque part entre l'écriture, le théâtre et les choses minuscules qui prennent vie sous la main. Elle anime des ateliers de pratiques artistiques à Marseille (son recueil "Lettres à Madame" est paru aux Editions Lurlure).
Erika Bournet Boldesc : Je dis vouloir tendre un fil, le bras, une image, pour me relier à ce que je vois. Dans le sens où je lie, je monte, j'agence, où je ne tiens qu’à un fil, au point où s’entrecroisent ma fiction et vos réalités. Le temps de repriser l’inimaginable. De s’impressionner. L’art de se terre, de faire illusion ou d’apprendre de ce qui apparaît. Mes collages sont des exuvies. Des révolutions sourdes.
Un lien qui mène à mon site : http://erikabournet.fr
Pour le carnet de création Fluviales, Melvyn et Noémie, jeunes de vingt ans, parcourent le Cambodge, l'Indonésie, le Vietnam, Le Japon, la Thaïlande, un voyage un peu fou avec quasiment rien en poche... travaillant et errant (en mobylette, trains, bus...) au jour le jour, ils nous envoient photos et vidéos pour témoigner de leurs merveilleuses découvertes.
​
Leur regard sur la rivière Kwai
à Kachanaburi en Thaïlande :
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https://www.youtube.com/watch?v=chkkwlYIdOE&t=23s​​
​
Et voici quelques photographies qu'ils nous ont transmises depuis septembre...






Enfin, ce bel hommage de Cathy Adrien pour son amie du Lot...
