Ce soir, nous allons chercher la ville par la bouche, tirée devant par une voix d'incendie qui s'apprend au fil des répétitions, elle plie dans le tumulte de la ville et lance dans un mouvement convexe le son des jambes et du front, tout un corps arcbouté sous la lumière, ça tire vers le haut, le cou hors des épaules, ça fait pousser des plantes, et la voix bouge comme un linge frais sur la cendre des murs, rampe à travers les ruelles aux détritus, intérieurement lasses de la ville, et soudain, fixé sur un arbre qui passe devant les yeux, l'élan surgit. On se vit avec la rue, on penche avec elle, tout déborde dehors.
Chefchaoue شفشاون
Chefchaouen
A city my mother is currently in,
Feels like the home of the divine.
A lost Olympus in the northwest of
The regal lions’ country.
Icy blue decorates this warm city
Where nature, tradition and modernity
Prosper together.
A city, I wish, that someday;
I’ll visit with everyone I love.
Let’s hope that in the afterlife,
We could find each other.
Just like we would in Chaouen.
Wided
Etudiante en BTS au lycée Voillaume d'Aulnay-sous-Bois.
Toile d'Isabelle Becker pour un hommage à la ville du Havre
Textes des étudiants de l'Université d'Evry - Paris Saclay
"Ma ville aimée" de Cherif
Sur ton sol riche je suis né double
Comme de toi plein comme tu m'accueilles
Ô toi belle ville qui m'a vu grandir
De ta lumière j'ai appris les connaissances
Depuis ton ciel j'ai connu les premiers amers
Tous tes sillons fermés sur mes amours
Aujourd'hui toi ma terre je t'ai quittée
Depuis ce temps de tout ce temps grand comme une terre
Je te pleure et souhaite te retrouver à chaque instant
Mais hélas la vie réelle m'éloigne
M'éloigne et m'éloigne
de toi.
"Cet endroit si charmant" de Lola Chambeau
Je ne te connais pas très bien
Mais tu m'as si simplement apporté du bien
Toi si charmant, le lieu parfait pour passer le temps
Toi Kyoto les beautés la paresse de tes pentes
Dans les ruelles légèrement inclinées de lumières
je voudrais pencher comme toi
/ et
te remercier.
« Epernay Champagne » de Pakito
Toi qui as su grandir et t'affranchir
L'ambassadeur de la vigne
Ô la magie de ta fureur
Tu es suivi majesté digne
Raisin précieux comme en écrin
Transforme le nectar en vin - ô l'habitant
Qui sait y faire
Cueille à genoux sous le mauvais temps
Pour fin sortir la jolie dame
Qu'on nomme champagne pour un soir.
"Port-Louis" d'Emmanuelle Heno.
Morbihan, petite mer / en voisin du Finistère / petite ville de bord de mer / baignée de lumière
Morbihan, petite mer / je ferme les yeux / ressens le sable sous mes pieds / goûte le sel sur mes lèvres / entends les mouettes dans le ciel
Morbihan, petite mer / c'est un instant suspendu là / spectre de sel recalcifié dans la mémoire / houleux houleux / quand hante encore / ce doux voyage immobile
"Une ville aux deux quatrains" d'Aline
Elle est toute éclairée
En hauteur sa tour aussi éclairée de hauteurs
Visitée nuit et jour sous les pas préférés
Des langues étrangères l'architecture contemplée.
Paris quelle ville son âme de beauté
Envoûte et trouble tout esprit libre
Toi ! Paris, dis-moi ton secret
Je n'en ferai pas un décret.
"Birmingham" de Haseeb Ashiq
Le temps que j'ai passé avec toi
Les erreurs commises trop de fois
La joie ressentie dans les bois
Ne traversent plus avec moi
L'odeur et les sons manquent
Aux bruits aux oiseaux des lointains
Arrivent alors à leur fin
Que vais-je faire sans toi
Peut-être
casser
des l o i s
"Trevenzuola" de Christelle Le Rôle
Toi, petit village,
Près des Alpes,
Tu es sage,
Sage comme une nappe,
Près de Venice,
Proche de la mer,
Beau comme Nice,
L'amour de la mère.
"Ô toi ma vigne" d'Aurélie Benard.
Toi que j'ai vue bourgeonner,
Toi que j'ai vue fleurir,
Toi que j'ai vue mûrir,
Cette vigne qui grandissait devant ma fenêtre,
Cette vigne que je traversais par tous les temps,
Me rendant chaque jour à l'école,
Ces chemins secs ou boueux,
Ces grappes de raisin gorgées de soleil je les cueillais,
Ces vendangeurs à la rentrée qui récoltaient
Pour devenir ainsi le champagne de la vie.
Epernay 51 sur le chemin des miens.
Textes des étudiants en DAEU de l'Université d'Evry - Paris Saclay.
Texte et photographie
Perrine Le Querrec
"Mon exil"
Je veux être une ombre découpée à la fenêtre ouverte
Un contre-jour à l’à-pic d’un mur rouge de briques
Une silhouette en équilibre sur l'échelle d’incendie
Je veux l’exil de la grande ville, le masque de l’anonyme
Traverser le canyon entre les gratte-ciel
Je veux courir debout sur les toits, marcher debout entre les buildings debout
Je veux les mots writés aux crêtes les ponts bruyants les lendemains inconnus
Je veux y retourner me retourner
Je veux les coups de feu de la vie, l’abandon d’ici
Perrine Le Querrec
A publié de nombreux recueil "Ruines", "Les Tondues", "Rouge Pute", "Le Prénom a été modifié"...
et le très remarqué "Warglyphes" (comment écrire la guerre ?) aux éditions Bruno Doucey.
Son prochain recueil rendra hommage au danseur Vaslav Nijinsky...
Texte et photographie du poète tunisien
Mokhtar El Amraoui
"Souvenirs de Mateur"
A l’écoute chancelante du carrosse de gare
Qui passait clopin-clopant près du cimetière,
Tu la voyais souvent dessinée entre les mimosas,
En dégustant le triangle de fromage que ton père
T’avait acheté avec le morceau coulant de chocolat noir
Tachant le diaphragme de lumière rougeoyant
Dans un verre à bulles sonores te surprenant
A la caresser dans le rétroviseur
Où se dodelinait le train bâillant
Hanneton hilare brillant, frais bleu !
Scintillantes brindilles d’herbe montant
D’un rêve vaporeux de fumants souvenirs !
Tu ne pouvais encore savoir, petit ange siffleur,
A quoi ressemblait cette insistante vache qui rit
Au nid ? Aux champs s’offrant en opéras de labours
Etendues de germinations lunaires en quartiers de promesses ?
Ah ! Les partitions électriques des hirondelles
Qu’elle gravera pour toi, un jour de carnaval,
Quand Boussaâdia tintinnabulant de toutes ses veines,
Sur le sol résonnant de ma Dabdaba kaléidoscope,
Chantait de ses immenses lèvres gercées
Par l’alcool du « primus » volant !
Et toutes ces forges instables des vacillantes écumes rouges
D’un feu fruit rêveur près des sauterelles mécaniques
Dans les interminables canicules
Et les nuages moulant tant de belles courbes célestes
Et tous ces morts flottant au-dessus du cimetière !
Comment t’oublier, colline de l’attente ?
Et ces soupirs de rosée lâchés en brides
Entre les épineux et les bribes hennissantes
Tant d’écuries lactées
Où la paille royale dorait le fumier !
Le ciel des cadrans s’offrait en urine piquante
Mais les pains fumants même inaccessibles
Etaient toujours pétris de rêves !
Cris absorbés par les buvards tachetés de l’horizon en favoris,
Comme ces inconsolables coupures de journaux
Coulant sur le sang gélatineux des rus entêtés
Des pissotières vermoulues !
Ah tout ce boomerang de souvenirs et de rêves
Qui te reviennent, entre les tissus des grosses espagnoles,
En d’infinies couleurs de bandes dessinées !
Petits mots de l'auteur accompagnant son texte :
Mateur est ma ville natale en Tunisie, Boussaâdia est un danseur ambulant de type saltimbanque ou griot
Dabdaba est une place de marché...
© Mokhtar El Amraoui in « Le souffle des ressacs ».
Gaëlle Lavisse
Hommage à Camopi en Guyane
"Racines" (avril 2024)
D’une naissance en mouvement, chant des femmes.
Elles ont traversé les champs, sont entrées dans le village.
Poésie qui fascine, chant des femmes médecines.
Appels et messages, rites de passages d’âge en âge, immersion comme l’eau entre en danse raconte genoux pliés, dos courbés, mains cueillant et se lèvent en louange, remercient le ciel, langage inventé des jardins secrets. Mains de fées, de la terre enracinée, langage souvenir qui nous invite à écrire.
Machi machi machi ma
Machi machi machi ma
Pacha mama
Machi cura
Machi sana
Machi machi machi ma
Machi machi machi ma
Pacha mama
Pacha mama
Bouquets de mots, sons gromelots, habitantes d’un village, d’un chant deux-mains, femmes oiseaux nous arrosent pour mieux pousser.
Gaëlle Lavisse parcourt toutes les régions et les écoles avec son bel atelier d'écriture "Dis Petite"
Composition graphique de la romancière Thérèse Cigna
Hommage à Messine (le nom de sa mère) en Sicile
"Grommelot spaghetti"
Sisibellaspa spaghettartouttima ma
lapastachouttapomodorratotto
quanolalamaquinasta
pidzz matinalennonodelastarmintanata
Hommage sidérant de l'artiste MAÏPO (au fin nord de la France)
aux théâtres d'Algérie où elle grandit et grandit et rêva beaucoup...
Elle compose ici un "Grommelot" pour Les Villes en Voix, qui bien émues et impressionnées, en restent...
A la même période, nous avons créé le morceau ci-dessous sur Soundcloud :
"Les pierres continueront de chanter", un hommage à Gaza
sur un texte du poète palestinien Mahmoud Darwich.
Composition orchestre de Marion Bourdier
accompagnée au chant par Françoise Breton (impro jazz).
Groupe de musique : "Petites notes d'exil" (electro / jazz).
Et voici une magnifique composition piano/voix
de IDIR GROOVE (au piano) et le poète kabyle YACINE BOUDIA (au chant)
Une improvisation dans un piano-bar sur la solitude dans Paris...
Lien à copier pour écouter :
https://drive.google.com/file/d/1GQHTNb8VwI1mFEK18YQRd9RJKSPlUZWY/view?usp=sharing
Cette découverte, le 7 avril 2024, nous a vraiment bouleversées...
Yacine nous explique : "c'est une pensée à Albert Jacquard..."
En écho à leur proposition émouvante, la poétesse Milène TOURNIER nous envoie un texte superbe :
"[...] Le clochard assis ne regarde pas les pieds des gens, ça qu’on dit, il regarde ses mains, parfois s’endort dedans et dans ses rêves les forêts prennent toute la place de l’image, sans début ni fin, on est toujours et partout au milieu, et l’image toujours moins grande que la forêt. Le temps passe, ça qu’on dit aussi, mais à partir de quelle dernière minute on sera tout à fait persuadés, tout à fait certains, qu’on ne va pas vivre toujours, soi échapper à ça qui veut qu’un soir ce soit ton dernier demain, et qu’au soir du soir, il n’y ait, ça y est, plus rien, ou tout moins toi, le reste sans toi, et que ça continue ? Des deux enfants qui jouent près du lézard, l’un à lui couper la queue pour voir en combien de temps repoussera, si tout de suite ou si après, et l’autre qui le défie, défie le lézard et la pas assez cruauté de l’autre, lui coupe la tête, des deux enfants, on est le lézard. Et laisser voir dimanche dans le texte et les chansons. Les cabanes en draps, la lumière que la pièce faisait le matin, le temps qu'on avait, et c'était sur le visage des parents, qu'on lisait les jours de la semaine, et la mine des dimanches soirs qui nous faisait nous demander à quoi bon s'infliger vivre, si l'empan est si grand, du dimanche au lundi. Et voulant passer de gamine à lumière, sans femme, sans mère, l’erreur qu’on commet, mais devinant quand même que c’est beau et capable un peu d’imaginer, de pas anticiper mais de quand même savoir, mais ce qu’on devra faire soi, pour être lourde comme elles, et regardant les femmes et les mères comme on écoute la musique, bouffie d’envie, de jalousie, de respect et de quand même ça nous intéresse pas, ou en tous cas on sait pas, et si c’est une fois pour toutes, que la musique on voit pas bien comment l’aimer ?
J’ai essayé ce matin, me coucher au pied de la musique, pour au moins faire une image."
Milène TOURNIER
Sa chaîne youtube : https://www.youtube.com/@MileneTournier
Milène Tournier écrit des livres de théâtre, poésie, et des poèmes vidéos. Son recueil (février 2023, Castor Astral) « Ce que m’a soufflé la ville », esquisse une écriture de la déambulation. Son dernier recueil "Cent Portraits vagues" aux Editions Lurlure.
Dessin et poème
Aline RECOURA
"Dans d'autres territoires"
Dans d'autres territoires
la tête tournée
de côté
à droite ou à gauche
suivant le vent
le poids de mes élans
je me dirigeais
Une sorte de ballon gonflable
Je me déplaçais loin
très loin
Comme si tout était mieux ailleurs
Je m'adaptais
je changeais mes habitudes
mes rythmes
mes points de vues
je pensais apprendre
découvrir
m'ouvrir
Je me perdais
j'aimais ça
être loin
être autre
J'aimais ça les horizons
croire que les autres
sont plus riches
que ce que j'ai en moi
Jusqu'au jour où
trop
les pédales m'ont blessée
j'ai commencé à rouler
dans le vide
dans la douleur
Où étais-je
Étouffée
loin de mes valeurs
immobile
rien de mon noyau
dans cet ailleurs
Pause
arrêt
retraite solitaire
bourgeons
fruits à naître en mon élément
mon nid mon intérieur
mon environnement proche
Je m'observe
je me dompte
parfois je pleure
je tiens bon la vie
Je sens
une fécondation
Luxuriante
Une évolution
avec des bouffées de chaleur
de plus en plus fréquentes
impromptues
inadaptées
surprenantes
En abondance
une circulation festive
un sentier
des odeurs parfumées
appréciées des enfants
des partages joyeux
La vie grandit
Ce n'est pas l'enfant
qui sera enfanté
mais le bonheur
Aline Recoura est l'auteure de nombreux recueils, dont Banlieue ville aux éditions La lucarne des écrivains. Pendant 10 ans elle fait partie du collectif SlamÔféminin avec lequel elle crée deux spectacles pour le festival d'Avignon. Depuis 2 ans, Aline Recoura est membre du collectif Les déméninges.
Compagnie de slam, performances scéniques "Les Daronnes". Crée avec la poétesse Virginie Séba une scène ouverte à Paris, "Les Daronnes" au Café de la Mairie à Saint-Sulpice.
Et tout dernièrement, aux Editions Lunatiques : "Magasin de porcelaine".
Dessin au fusain, hommage à Saint-Nazaire
Emmanuelle RABU
"EN VIE, EN LIBERTÉ"
- à Patrick DEVILLE, voyageur écrivain -
Entends-tu crépiter le sang des flamboyants
quand un ciel de mousson s'effondre sur la ville ?
Et la pluie, et la pluie ; cette violente
Elle frappe sans répit la tôle sur nos têtes
comme un tambour parlant possédé par l’orage
Écoutes-tu la voix des vieillards paresseux
palabrant sous l’ombre sèche d’un baobab ?
La chaleur, la chaleur ; cette liqueur
Elle perle sous les seins, tendre gémellité
de désirs et de lait à la ville cachés
Vois-tu les jeunes filles aux cheveux corbeaux
qui le long des rizières pépient à vélo ?
Et la brume, et la brume ; cette trompeuse
Elle camoufle en ville la douleur des campagnes
corps vissés dans la boue, verrouillés en équerre
Sens-tu la gazoline empester les trottoirs?
La saison des durians épouvanter la ville?
Les odeurs, les odeurs ; cette mémoire
Elle agace comme les fibres d'une mangue
tandis que fond la pulpe aqueuse sur la langue
Te souviens-tu du sang sur l'autel de l'histoire ?
Du serpent émeraude avalé par l'azur ?
La couleur, la couleur ; cette promesse
Sur les murs mexicains le journal rouge ardent
de tant de rébellions réprimées aux racines
Peux-tu boire le mezcal sans t'écrouler d'ivresse ?
Penser comme un volcan sans brûler au magma ?
Et le feu, et le feu ; cette folie
qu'il faut entretenir pour couver sous nos cendres
une irruption de mots déferlant à l'envi
Texte inédit de la poétesse Emmanuelle RABU
Le dessin « Pluie-feu », au fusain, est extrait du recueil de poèmes « Entre temps – échappé du tour » d’Alain CROZIER, éd. Liane, 2022.
Emmanuelle RABU écrit, peint et photographie. Dernière publication : la nouvelle « Le chant du coq » dans l’anthologie de SF « HP21, Animal ad hominem » dirigée par Léo DHAYER, Flatland Éditeur, 2023.
Texte et photographie pour un hommage
aux jeunes filles du Pérou
de la poétesse et performeuse
Virginie SEBA
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les palmiers qui marchent
Les racines barriques
ventre à l'air ventre à terre
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les ficus géants qui
fusellent et m'échevèlent
étranglement de tous les réels
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les empereurs tête rouge
enchâssée tige sceptre
Grande te Couronnant
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les mirages vertiges
L'arbre crocodile
caché dans son fruit
Plus papaye que peau
Je boirai de son eau
Regarde-moi dans les yeux petite fille
A tes pieds flamboyante
traversée de fourmis
fardeaux de feuilles
en losanges ciselés
collier doré qui marche
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les sentinelles qui tracent
en rang serré regard acéré
petites travailleuses sans limite
une à une chacune leur charge
Regarde-moi dans les yeux petite fille
Au bord du lac immense
J'ai les oiseaux paradis
qui murmurent
les chemins de pierre
qui scintillent
les étoiles qui aspirent
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les lianes qui hallucinent
Loin loin arras et perroquets
picorent le sel de la roche
Sous tes jupons caché
le portable qui chante
Regarde-moi dans les yeux petite fille
J'ai les rêves qui frémissent
Regarde-moi dans les yeux
Je peux ?
Les ciels nous avalent
La terre nous attache
Les paysages nous déforment
Les chemins nous rencontrent
Les regards nous partagent
Regarde-moi dans les yeux
Je peux prendre une photo ?
Virginie SEBA, poétesse performeuse engagée, dit, déclame, publie et co-anime, avec Aline Recoura, la scène Les Daronnes au café de la Mairie, Paris 6ème. A son actif, un clip Dame Chique Tache et plusieurs créations de spectacle dont l’incroyable Sister Rosetta Tharpe, pionnière du rock’n roll, qui se jouera au festival d’Avignon du 2 au 21 juillet 2024. En duo avec Aline Recoura, poétesse plasticienne, lecture théâtralisée Familles sur table d’après leur ensemble poétique éponyme, édité par L’Ire de l’Ours, avril 2023.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.slamchante.fr
Son dernier recueil aux éditions Lunatiques : "Marche nage Vole".
Petit message de Virginie concernant sa photographie : elle a été prise le 25 décembre 2023 vers midi île de Taquile, près du Lac Titicaca. Elle était assise là, sur une marche, adossée à un mur, petit bâtiment servant d'église sur la place du village, elle regardait devant elle en souriant. C'était jour de fête; je lui ai demandé si je pouvais la prendre en photo. Elle était ravie.
Toile d'Isabelle BECKER, les chants d'Athènes
Texte musical de Nathalie HOLT
"Post card"
Ville de port à quarantaine aperçue d’un pont (ce n’est pas la ville qui tangue c’est le petit vapeur qui t’emporte). Ville de dock, de briques, de pork pie hat, droite sur ses quilles (she scrapses the sky) et de langues battues comme des cartes. Ville rêvée de ton rêve, promesse anadyomène. Ne reste qu’un fichu de laine.
Nathalie Holt est scénographe de théâtre et d'opéra. Son dernier recueil de nouvelles "Averses".
Sa fille est chanteuse dans le groupe Ceylon, rock psychédélique, qui fait actuellement fureur dans toutes les salles indépendantes...
Photographies et texte
de la poétesse libanaise
Gracia Bejjani
"Les rues de Beyrouth"
On dort fenêtres ouvertes. On dort dans l’acoustique des rues, brouhaha et cliquetis d’objets domestiques. Les bruissements de la maison la nuit. On dort contre leurs rires (on reconnaît nos parents), jouer à deviner les autres voix. On dort dans la moiteur ; fenêtres ouvertes ou fermées, même pesanteur de l’air. On dort dans nos lits et c’est comme dormir dehors, dans les bras du monde. Dans le vent, sa poussière. On dort avec les moustiques, leur obsession sonore. Dans les odeurs des plats, les soirs de réception. On dort avec les klaxons. La radio des voisins parfois, joyeuse langueur des chansons. Quelques discussions politiques entre deux balcons farouches.
On se réveille au tintamarre d’autres klaxons, plus énergiques, persistants. Aux pétarades des moteurs. Nos rues de nerfs. Il est tôt, il fait déjà chaud. La ville est vacarme. Furieuse vitalité. On a hâte, sortir, jouer dehors. Dans cette cour où se retrouver à plusieurs et grandir sans le réaliser. On n’entend plus les marchands de fruits (on s’est habitués), ils sont là pourtant, parsemant les rues de leur langue aux mots choisis. On joue en évitant d’écouter les disputes d’un couple qui s’oublie haut et fort. On joue sans penser à ces occultes appels à l’aide. On est petits, on joue au ballon ou à la marelle, à la corde à sauter. La rue est notre jardin.
La rue est aussi le lieu des grands. Ils sortent des chaises colorées, des chaises en plastique, elles résistent à tout. Une table basse et le café. Le tablier de trictrac parfois et les spectateurs autour, entre silence et commentaires. Les parties se succèdent comme pour éterniser le quotidien. Les chats sauvages manquent de frôler leurs jambes. Certains battent des pieds. D’autres inspirent voluptueusement la fumée de leur cigarette, l’expirent comme un toux. Ils sortent leur corps sur des seuils rendus sacrés par de longues conversations. Interpellent les passants. Les invitent à un café, un verre d’eau. Se contentent parfois de regarder circuler gens et voitures.
Un jour, les rues nous sont autorisées autrement, on a grandi, on peut se promener seuls dans le quartier. Vigilants, on a promis, le danger partout menace. On prend le temps d’explorer, ville comme forêt, son panache. Traîner, cartable à l’épaule. S’amuser à se faire peur, traverser sans feux de signalisation ici. Dans nos rues sans nom, marcher est jeu de piste banalisé. On tourne autour de la destination, on s’en approche par indices. Seule l’avenue principale est nommée, « rue de l’indépendance » ; personne ne voit sa plaque bleu roi, lettres en blanc cachées par un arbre aux branches poussiéreuses. On se remet aux pancartes commerciales parsemées alentour, pour raconter le trajet, expliquer les étapes. On égrène les enseignes, essaims de bouquets colorés autour d’adresses anonymisées. On trouve toujours.
On grandira auprès de ces mêmes rues, leur espace bordera le temps, nos jeunes années. On les connaîtra comme les membres de notre corps, yeux fermés. Les rues toujours, plancher de nos existences. On grandira et un jour la guerre imposera ses couvre-feux. Entre deux sirènes, ces mêmes rues nous seront défendues. Il nous arrivera de les traverser à grande vitesse, fiers d’y parvenir, comme s’il s’agissait de braver les interdits officiels et non les risques des bombardements. La guerre trouera ça et là nos quartiers, bouchera certaines artères. Nous poussera parfois à l’exil vers d’autres régions du pays, plus calmes que Beyrouth.
On grandira, certains émigreront à l’étranger. À chaque retour à Achrafieh, nos yeux émus de reconnaître ces motifs rescapés du passé. Fragments de rue comme traits familiers d’un visage incertain. On marchera comme avant, sans la bravoure de l’enfance, sans l’élan ludique qui se réjouit de tout détail. On marchera et des tableaux d’antan surgiront au hasard des ruelles : voiture garée dans l’ombre d’où se détachent deux silhouettes rapprochées, un couple pour quelques minutes d’intimité. Ou le vieux cireur de chaussures, plus léger que sa caisse qui se dandine au bout de son bras. Le désordre de la nature, quelques arbres et buissons éparpillés. On marchera avec la douceur de ces images cruelles. On a toujours marché dans les rues d’Achrafieh. On marchera aujourd’hui encore mais comme désincarnés, acteurs secondaires au rôle flou ; au service des personnages principaux, les rues de Beyrouth. Beyrouth, terre de toute permanence.
Gracia Bejjani
graciabejjani.fr
youtube.com/c/graciabejjani
Composition picturale et texte
Anne DEJARDIN
Les lignes au sol comme grillage de la pensée ; ton pied traîne ; tu aimerais semer les mots comme au porte-manteau on laisse son paletot, les enterrer comme tirer un trait ; suivre en confiance ces flèches qui n’indiquent rien, le temps est rigoureux, passés les embrassements usés, fermer un œil pour ajuster et passer par-dessus ; le ciel tombé en flaque s’étire comme rivière ; une fleur à trois pétales dans le soleil chiffonné. C’est le grand remplacement du paysage en surimpression. Tu voudrais pouvoir rêver.
Les lignes au sol, comme grillage de la pensée ; ton pied trébuche ; ton oreille chute ; tu voudrais te débarrasser du bruit au porte-manteau comme on laisse son paletot ; une musique échappée d’une voiture déjà loin te reste sur la langue ; une fenêtre là-haut t’en jette une autre ; dans une langue que tu ne comprends pas ; tu picores de ci de là à l’affût de paroles que tu reconnaîtrais ; le rythme dénoue quelque chose dans le corps, mais cela ne se voit pas ; une valse à quatre temps ; de retour celui des embrasements ; une chanson reconnue telle une signalétique ; te sortira du labyrinthe où ta pensée s’embourbe ; le ciel tombé en flaque à tes pieds comme une rivière ancienne ; l’enjamber hop hop hop ; une fleur à trois pétales défroissée par le soleil la la la ; colorier chanter rêver.
Anne Dejardin, romancière.
Son dernier livre Elle parle des corps aborde le thème de l’abandon à travers la douleur de différents personnages. Elle poursuit sur son blog et sa chaîne YouTube l’écriture de microfictions à partir des noms de villas d’une station balnéaire de la Manche qu’elle a intitulé : « Le nom qu’on leur a donné… »
Mes livres – L'impermanence des traces (annedejardin.com)
Toile d'Isabelle BECKER
Texte de Florence BECKER
la ville avale
les âmes égarées
les passants dépassés
petits pas dans les grands
petits pas, pas du tout perdus
pas de danse dans les rues
dévorées fleurs de béton
murs de silence
la ville vient aussi dire
le monde elle sème
des rires à l’infini
à l’endroit des rêves
à l’envers de l’oubli
et la vie bouillonne de joie
à chaque coin de rue
Florence Becker illustre la toile de sa soeur Isabelle Becker.
Isabelle Becker : "Le mouvement est depuis toujours au cœur même de ma pratique artistique et de ma démarche. J’aime dessiner l’humain en mouvement, qu’il parle, bouge, soit concentré sur un livre ou son portable ou joue ou danse. Carte "Michemin" : une carte routière de marque Michelin ou autre présentée à la verticale, couverte de taches d’encre, de teintures naturelles, de peinture acrylique et d’aquarelle. Deux mouvements : le premier réel, concret qui est celui du « dripping » effectué sur le support au préalable. Il ne répond à aucune loi, si ce n’est de commencer par les encres les plus claires avant d’arriver au noir. Il est « défoulatoire », incantatoire et libérateur, je l’effectue loin de tout regard, dans un état extatique."
Photographie et texte
Françoise RENAUD
l’eau retirée loin
vous dire à l’oreille que je n’ai pas de ville
je n’ai que des bourgades et des villages, quelques hameaux perdus au bord des marais
je n’ai qu’un monde d’enfance au cœur
je le feuillette comme un livre quand je rêve, quand je marche, je choisis l’hiver pour courir ses sentiers, je fréquente ses landes et ses plages, je dessine ses murailles avec oiseaux crieurs, je ramasse ses plantes sauvages au risque de m’y piquer les doigts, nombreux sont ses arbres vieux issus d’un monde étrange qui ont été arrachés pour construire des maisons de vacances mais je les rêve encore, je vois leur sang au creux de la terre, leurs branches torturées jetées en travers des ajoncs, et la colère me prend quand je rêve
je ne suis pas fille des villes
je n’ai qu’un pays de mer, qu’un bourg livré aux puissances atlantiques
que lui pour rêver
il sait les coups de chien, le courroux de la mer, il m’a conté le goût de salicorne, la beauté, le noir des gouffres, et ses courants m’ont poussée au large pour voir de loin la vie qui hurle
non je n’ai pas de ville à chérir
je n’ai qu’un bourg, sa vieille église et sa rue principale, ses venelles qui descendent à la plage, je me rêve à deux ans dans les mares avec l’eau retirée loin, ma sœur me tient la main, me rassure, j’entends sa voix mais ne m’en souviens pas, je sens sa main sur moi, sa protection, son affection, elle va mourir bientôt, cette année-là elle veille encore sur ma baignade, elle avait un visage si doux et avait peur des grosses vagues
le pays d’enfance a de l’emprise sur moi
j’ignore quand ça a commencé exactement mais sans cesse je me retourne vers lui, m’en retourne à l’enfance, m’en retourne à ses murmures de poussière et à son innocence, et je chevauche dans mon rêve les landes inoubliées, entends l’océan proche qui se rue contre les murs de pierre
De nombreux ouvrages publiés depuis 1997 (roman, poésie, jeunesse, beau livre) et publications en revue. Biblio ici:
https://www.francoiserenaud.com/bibliographie/bibliographie-complete/
Juliette DERIMAY
"Chelsea Hotel"
Tu ne sais plus très bien, si tu marches, si tu danses. Tu touches à peine le sol, tu l’effleures, le caresses. Tes pieds sont des doigts, ils suivent la musique, ils marquent aussi les mots, la musique des mots. Un pas à chaque rime. I remember you well / in the Chelsea Hotel /. C’est la musique qui déplace tes pieds, tu adaptes ta marche aux descentes et aux montées en allongeant le pas, mais sans toucher au rythme, pour le rythme tu n’as plus le contrôle, la musique bouge tes jambes pour toi. C’est ça, tu marches dans tes oreilles, la mesure, en cadence, déclamée par tes pieds. Cette chanson ne te quitte pas, le timbre de la voix de Leonard Cohen, si grave sur sa fin, si lourde d’un tas de choses, y compris de beauté, cette voix habite ta tête depuis hier, depuis que tu es passée devant ce bâtiment, devant le Chelsea Hotel. La façade est immense. Pas immense à l’échelle de la ville, puisque tu es à New York, mais immense à l’échelle de la brique, du nombre infini de briques rouges qu’il fallût assembler pour construire l’édifice. Immense par le nombre de ses fenêtres pareilles, par les volutes forgées, noires, qui habillent les balcons, motifs qui se répètent, se répètent et se répètent, comme un refrain de chanson. Immense par la symétrie stricte de ce géant glorieux, l’asymétrie espiègle d’une plante en pot ici et d’une cheminée là, plus haute que sa voisine, et par le nez si haut qui partage strictement deux rangées d’yeux de verre, parfois voilés de stores. Immense aussi, bien sûr, par tout ce que tu sais, tout ce que tu as lu. L’année de construction ce 1883, qui en fait un ancêtre, un sage auréolé de son presque siècle et demi comme d’avoir vu changer les centaines et les mille dans la date du jour et d’avoir même été, au jour de sa naissance, le plus haut de la ville avec ses douze étages. Mais immense surtout par ses bras du début, construits pour accueillir, pour loger bien au chaud et pour faire une place à ceux qui rêvent plus grand que leur revenus trop faibles, les chanteuses, les poètes, les épris de musique et puis les écrivains ou ceux du cinéma, ils avaient là leur place dans le vieux et le sale, les odeurs de poussière, le moite de la ville, le trop chaud de l’été et les câbles électriques à peine dissimulés en face de l’ascenseur, mais ils avaient une place. Maintenant c’est fini, plus d’artistes débutants, fauchés au bout du mois. Travaux, échafaudages, et nouvelle direction. Pour venir dormir là il faut être établi, avoir pignon sur rue, si possible une grande rue. Il reste l’emballage, plus rien à l’intérieur, plus de Janis Joplin, de Leonard Cohen. Mais restent la chanson et les mots du poète. Alors tu comprends mieux, entre deux pas de danse, que les choses ont changé et que l’immeuble, comme eux, et comme tous les autres qui ont fait de ces briques quelque chose d’immense, ont tous fini, maintenant, par tourner le dos au monde.
Juliette DERIMAY
Ses ouvrages et son site : https://www.les-enlivreurs.fr/
Publications : « Voyage en Irréel », avec le photographe Nicolas Orillard-Demaire (nod-photography.com), paru en septembre 2021 chez Spot Éditions et nombreuses participations à des ouvrages collectifs.
Photographie, texte en chanson
Piero COHEN-HADRIA
Tu sais les chansons idiotes qui te parlent d’amour finies mortes terminées perdues désespérées
lasciatemi cantare
perche sono l’italiano
l’italiano vero
ce genre par une personne brune, on dit bêtement latin lover, voix éraillée on l’appelle Toto diminuant Salvatore – les chansons comme celles d’Adamo le belge qui lui aussi portait ce même prénom, il existe aussi en français, Sauveur, quelque chose de la religion, quelque chose de l’amour du cœur de l’âme torturée – mais oui, mais Toto est mort, plus qu’une ville, Gênes ou Venise, c’est toute entière l’Italie qu’il faudrait laisser chanter – le twist et les cigarettes américaines, les pâtes al dente de la chanson tout autant, les Campari des Petits chevaux de Margot, cette époque où JiPé descendait au Monaco quelques semaines soit avec sa Simone soit avec une autre – quelle importance, après tout ? – non, plus que Venise ou Rome, ce serait (pardon) un pays, ces plaintes des hommes, ces rires des filles, les lunettes de soleil, les glaces et les bikinis, et sans doute probablement avant tout l’affectueux sourire de la fin du film – parce que oui, les chansons, c’est vrai c’est essentiel mais aussi le cinéma…
Piero Cohen-Hadria
Blogueur impénitent (http://www.pendantleweekend.net/ collectif au départ), je soutiens des aventures participatives : je travaille avec des artistes écrivains : au sein du collectif L’Air Nu - https://www.lairnu.net/) (avec Anne Savelli Joachim Séné Mathilde Roux Christine Jeanney) où je défends, entre autres, un certain cinéma; au sein du collectif maison[s}témoin (http://www.maisonstemoin.fr/, (avec Christine Jeanney).
Toile d'Elodie Breton
Chanson de Zohra Mrimi
J'habite un coin de rue où les néons apprennent à voler
danser avec des lucioles et puis voler, voler....
Les ivrognes jettent leurs dents trouées aux petites souris affolées
Rêves, colère, cailloux traînent sur le sol déglingué
Une aile pousse, une idée, une fleur bougent
Il leur faut de la terre et les enraciner
Et moi vivante au milieu de la brume, de la rosée, de ma blessure ouverte
Je nage dans le ciel
Ma ville est une mémoire soudaine
Un instant les voix humaines sont étranges
La pluie, le vent sont nos jeunes mariés.
Lecture fabuleuse de Zohra Mrimi sur notre chaîne youtube Les Villes en Voix (à découvrir sans modération... n'hésitez pas à vous abonner, cela fait toujours plaisir !) :
Zohra Mrimi écrit des textes poétiques sur les réseaux,
publication de son recueil "Le jour fait l'adieu"" aux éditions Z4.
Ce recueil a fait l'objet d'un court-métrage musical
sur la chaîne YouTube des Villes en Voix.
Photographie de Nathalie HOLT
Texte d'Astrid WALISZEK
"La petite balade"
Il s'est acheté un vélo hollandais électrique. Son rêve, c'est d'aller au bistro du Palais de justice manger une saucisse-frites accompagnée d'un muscadet bien sec qui fleurerait bon la pierre à fusil. Depuis le temps qu'il va travailler au Palais en moto ou en taxi et qu'il ne mangeait que dans des restos à langues d'oursin, filet de veau en viennoise de pistache ou gambas snackées.
Il passe rue Burq chez Muse prendre un bouquet de pivoines pour Catherine, qu'il amarre sur le porte-bagages à l'aide du tendeur qu'il a pris soin d'emporter. Il fait claquer l'élastique et le regrette illico : ce n'est pas comme ça qu'on traite les bouquets de fleurs. Surtout les bouquets de pivoines. Et puis quelle idée d'acheter des fleurs maintenant pour les malmener sur un porte-bagage pendant des heures.
L'habitude : un gentleman n'oublie jamais d'acheter des fleurs.
Il traverse le pont au-dessus du cimetière nez au vent, s'arrête au milieu — ça fait longtemps qu'il ne peut plus s'arrêter où il veut, quand il veut. Ni être seul. Là, il a largué ses ombres et ses habitudes.
Puis le vélo, il l'a emmené dans une petite cour de la rue Cavalotti — le marchand de légumes est fermé et la concierge dort encore. Tout était prévu, les ombres sont restées plantées sur le trottoir alors qu'il se change dans l'ancien WC de la cour, enfile son survêt' bleu à bandes jaunes et lace ses baskets fluo — mon dieu ! Puis il a pris la sortie qui donne sur l'autre rue — ah comment s'appelle-t-elle déjà ? Je ne m'en souviens plus. Je me souviens bien des croisillons sur la porte des anciens WC, de sa couleur vert sapin mais le nom de la rue, lui, m'échappe.
Il est repassé par le pont. Pourquoi ? Il ne sait pas bien. Une pause. Il est resté un long moment au-dessus du cimetière, regardant la vie grouiller. En-dessous, le mausolée de la famille Boucher-Danlos, derrière lui des touristes passent en discutant, dans les allées du cimetière des amoureux batifolent, des gamins courent, des chiens se lèchent, des clochards s'étirent, des femmes lisent, des hommes fument, des chats guettent, la vieille gitane qu'il voit souvent aborde des promeneurs. Plein les yeux de toute cette liberté, il a eu, puis il s'est demandé ce qu'elle faisait dans le cimetière, la vieille gitane : lisait-elle l'avenir au milieu des morts ?
Quand il s'est retourné, le vélo avait disparu. Pas d'ombre pour garder les biens — il a fallu redescendre sur terre. Il allait prendre le bus. En survet' bleu à bandes jaunes et baskets fluo — les saucisses-frites ignoraient qu'il avait perdu son vélo. Et que c'était un vélo hollandais.
Le 95 passe, s'arrête et là, zut, mes poches sont vides. Même pas de carte bleue. Les vingt euros, c'était pour les fleurs et là, plus rien ; les sous et ce qui en tient lieu étaient dans la petite sacoche du vélo. J'y vais ? J'y vais pas ? Il y va, avec un délicieux sentiment de petit délinquant. Je n'ai pas de billet.
Ça fera une balade et tant pis pour les saucisses-frites. Il se sent un peu ridicule à pied dans son attirail de cycliste mais fidèle à son idée première il continue, il ne mangera pas de saucisses-frites mais il ira jusqu'au Palais. Peut-être d'ailleurs qu'il rencontrera un collègue pour le dépanner de quelques euros. Puis non, il espère bien ne rencontrer personne, il n'a pas envie d'exposer aux éventuels collègues sa déconfiture. En survêt, en plus ! Il ira par là-bas, se baladera puis rentrera, à pied. Et en survêt' : plus de change, parti avec le sac en plastique qui le contenait. Il rentrera discrètement pour que Catherine ne le voie pas et filera directement du côté du dressing pour se changer. Il rit intérieurement, on ne va pas s'en faire et gâcher la journée pour si peu ! Et puis quelle aventure !
Le bus tourne sur la Place de Clichy puis s'arrête — terminus, il rentre au dépôt. C'était bien la peine de frauder pour une station ! Un peu plus haut, une bière sur une petite table ronde — blonde, si blonde, mousseuse, sublime. Le type en boit avec un plaisir visible une gorgée puis repose le verre. Les parois se recouvrent d'un délicat givre, des gouttes en suspension l'émaillent. Il en baverait.
Il ne s'est pas aperçu qu'il avait reculé d'un pas ; le 30 qui l'a écharpé non plus.
Astrid WALISZEK est l'auteure du roman "Topolina" chez Grasset.
Recueil de nouvelles et poèmes aux éditions Jacques Flament :
"A peine assez de mes bras", "Ombres nomades", "Les lucarnes de désir" ...
Nathalie HOLT est scénographe de théâtre et d'opéra, Nathalie Holt vit dans le nord de Paris près d'une forêt. Elle a publié deux recueils de nouvelles : "Ils tombaient" et "Averses".
Photographie et chanson
Rebecca Armstrong
Une ville sommeille quelque part. En moi. En rêve. Son nom chuchoté. Je ne connais pas. Ses avenues. Ses boulevards. Ses chemins. Je sais. Dans mon sommeil le bleu humide le béton blanc le rouge terre. Je déplie. Sa nuit en aplat et sa carte endormie. Lumières jamais éteintes. Quête en lueurs. Discrètes en dedans est-elle mienne. Trouble. Rue imaginée. Bondée sonore parfumée. Essence. Maquis. Pluie. De la veille. Du petit matin. Cinq heure à peine. Déjà. Nuée d’enfants cravates droites robes ajustées. Cette ville s’éveille quelque part. En moi. Grandit. Vaisseaux sanguins un à un circulent et cheminent serai-je sa carte. Interdite jusqu’ici. Approche la ville, approchent mes pas. Sekou Touré. Tafawa Balewa. Julius Nyerere. Kenneth Kaunda. Modibo Keita. Arbre continent. Suis-je de tes fruits. Cueillir en soi les noms. Faire carrefour. Quête d’une ville. Adopte. Dénoue l’entrelacs intérieur. Filets. Doigts noueux. Chaînes. Au fil d’une avenue descend jusque cette mer alanguie de départs noirs. Osu. Lèche la ville au matin et mes pieds demain, oui demain je viens. Accra.
Rebecca Armstrong a publié "Un deux trois" aux éditions Christophe Chomant en 2023.
Ateliers et rencontres dans les établissements scolaires.
Création du magnifique Podcast "Une boussole pour les temps qui courent".
S'est longtemps engagée pour que la ville de ROUEN devienne la capitale européenne de la culture.
Partage sa route entre Barcelone, ses projets, Toulouse... A suivre !!
Karima MANAA
poétesse et performeuse parisienne
"Vis ma ville"
Sur une falaise, un toit isolé,
Toit du monde, de mon monde.
J’y range mes rêves bien repassés,
Les sors par humeur vagabonde.
Balade à petits pas,
Pas de loup, pas de rats,
Pas de murs ni hauts ni bas,
Pas de dealer de faux tabac.
Marre des rimes en A.
Ma ville est belle sans fard,
On y lit même dans les bars,
Mon âme y bat la chamade,
Toute en love story pas fade.
On y erre, été comme hiver,
On y danse en solo ou par pairs,
La terre y effleure la mer,
Eclats de rires doux amers.
Pas de tacos halal trop gras,
Ni de smoothie hors de prix healthy.
Juste de la vida loca,
Juste une vie goût vache qui rit.
Karima Manaa
Le nouveau carnet de création des Villes en Voix, pour le 20 août 2024 :
NUIT BLANCHE
Textes courts, photographies, sons, vidéos, toiles, dessins...