ILS TOMBAIENT – recueil de nouvelles de Nathalie HOLT (collection originale « Un Jeudi »)
Ce n’est ni à tort ni à raison qu’on découvre un livre d’abord par les yeux, y glanant des mots catastrophes, des pierres, des blessures, des vies acharnées au travail, des cigarettes pour enfin tomber en soi, des isolements, avec des yeux que le livre fait naître et grossir comme un germe, puis on se décide, l’eau est glaciale, on rentre dans son eau froide du bout du pied, transi, incapable de poursuivre, et pourtant on résiste, et le corps bouge, se peuple de contre-résistance, et on finit par s’immerger complètement. Le froid rentre et descend, et par centaines de pulsations, fabrique une chaleur puissante aux commissures, au derme, aux valves, aux arêtes, aux alvéoles des bronches. On dévore, on en vient au ventre, on cannibalisme : là tout enfle et se soumet à l’empire des yeux. On vient à ce livre avec l’idée lointaine d’une atmosphère de Russell Banks, ou encore Don DeLillo avec ce roman qui titrait « L’homme qui tombe », on scrute l’espace, et on mord, on mord à même ces histoires folles, terribles, brasiers inoubliables. Des puissances de roseaux pensants, oubliés de tous, émergent des quatre coins d’espaces délaissés, cité désaffectée, forêt sous une flotte diluvienne, hôtel à nettoyer pas plus de 12 minutes par chambre, randonnées funèbres en montagne, escalades… Et parmi tous ces lieux, des solitaires abrupts s’élèvent on ne sait comment en clochards célestes, ivres de rêves, increvables forçats. Alors quoi, à force, devenir des mythes de courage, illustres inconnus aux fragilités somptueuses. Chaque histoire, comme chaque corps ignoré, tient sur ses quelques deux, trois pages, ouvre soudain des abîmes qui sidèrent. Les yeux ouvrent des passages. On pense à Requiem des innocents de Calaferte, à des rêves personnels d’Apocalypse, à des films des pays de l’est, gravés dans la mémoire, des expériences profondes, inénarrables. Alors ce livre puissant, on le tend à d’autres, on l’aime de nous avoir tant pris, bousculés, ramenés aux antiques – alors on le crie, tout cela, à d’autres yeux.
Nathalie Holt, scénographe de théâtre et d'opéra, est née à Paris. Elle vit près d'une forêt, dans la banlieue nord. "Ils tombaient" est son premier recueil.
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