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La buvette au coin d'la rue (Chronique n°4)

Françoise RENAUD, LE MUSICIEN NOIR, revue ÉTOILES D'ENCRE, n°49/50 « Sous le signe du multiple », éditions Chèvre-feuille étoilée, mars 2012

Paroles d'une lectrice, Valérie Cassisa :

"Laissons une place prépondérante à l'imaginaire du lecteur, lui ouvrir les portes de son esprit, et lui soumettre humblement des pistes... tels sont les grands bonheurs de la Petite Prose de Françoise Renaud. L'autrice, photographe, globe-trotteuse, dépose généreusement ses mondes et ses percées à notre adresse. Alors chaque nouvelle se pare du sublime éclat et de la rouge noirceur du musicien noir, qui compose, décompose et recompose inlassablement "Strange fruit" ad libitum. Il questionne le présent, fait la somme des passés, et se dit à raison que leur résonnance est omniprésente. Pour lui, le temps ne s'écoule pas car il évolue avec ses ancêtres, exactement au présent, dans un acte au présent, sous l'oreille d'une autrice historienne. On écoute le livre, puis le morceau rentre dans un souvenir de lecture qui enrichit considérablement l'écoute intuitive du morceau de jazz. L'hymne au jazz est hymne au partage, à la quête, aux surprenantes dérives, à la redécouverte de soi."



Ce mardi 23 janvier, au Centre Culturel des ULIS, un spectacle éblouissant : COEUR POUMON de la Compagnie I AM A BIRD, texte remarquable de la metteuse en scène Daniela Labbé Cabrera.


Ce qui marque dès le début, la virtuosité du dispositif scénique – les éléments marquants du cadre hospitalier, un cyclorama où l’on peut voir le hors-champ de ce qui se déroule en dehors de l'hôpital, le sommeil, les amis, le calme et les rires, la route où s'oublie le jeune couple. Au sol, aux murs, le linoléum blanc de l'hôpital : la matière de nos naissances, de nos maladies, de nos décès.  Un espace scénique pluriel : l'accueil transformé en piano, une salle d'attente, un sas où l'on se prépare, la salle des soins intensifs, et cette porte battante, battante comme un coeur. Battante comme le tempo d'une boîte de nuit.

 

Ultra réalisme de la composition : nous assistons en direct à l'annonce du "problème", le dysfonctionnement dans la cage thoracique, l'histoire des personnages - la vie fracturée, la vie suspendue de l'enfant. La mort pourrait faire irruption à tout moment, et pourtant la parole circule sans arrêt, la parole apprend, nous apprend, guide, dévoile, lacère, cueille dans un moment presque banal de la vie, où lors d'une échographie, la mère apprend l'anomalie... L'hôpital, lieu de toutes les injustices, de toutes les souffrances, de toutes les peurs, de tous les courages, devient alors espace de confrontation, de rébellion, de miracles, de théâtre ensemble. Les parents n'ont plus qu'une vie de parents, qui attendent, parmi la vie des soignants, qui rêvent, qui rêvent tous d'être musiciens, et soudain, la grand-mère rend visite. Alors tout le monde devient une famille, une lutte à deux, à cinq, huit, douze, où l’enfant intubé est toujours une présence, où rien ne s'achève.

 

Jeu à plusieurs corps, chantés, dansés, hurlés, mangés et bus, une partition chorale avec des mots si précis pour les soins médicaux, les espaces méconnus de nos corps, qu'ils en deviennent étourdissants. Les mots pour dire le coeur, les opérations à coeur ouvert, dans les alvéoles sublimes, cette "beauté qui n'est pas destinée à être vue".

Le jeu ne semble pas chercher l’effet, quelques déplacements, très peu. Mais qui génère une émotion puissante avec un texte qui oscille entre lyrisme et quotidien.

Tension extrême entre l’instant de la représentation, et la durée, le temps long de l'attente : celui de la vie encastrée dans un tube et le temps court du spectacle. Adéquation parfaite entre le fond et la forme. Ne pas oublier que la vie est…

 

C'est une pièce qui nous embarque, nous emmène dans la maîtrise parfaite du dispositif, pièce qui nous surprend quand l’émotion nous submerge alors que tout dans le dispositif semblait l’éloigner : le décor clinique, les sons des machines, les instruments chirurgicaux... Notre vie au long cours nous réserve bien des effrois et des tendresses inoubliables... Ici, tout est envisagé : la nourriture comme refuge, la joie d'opérer sur une musique classique, les difficultés effroyables du milieu hospitalier, le repas pris debout entre deux vérifications, une douleur qui isole, qui rentre dedans, et finalement, contre toute attente, qui réunit, qui se raconte, qui se partage ici avec une émotion immense.






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