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Dessin "VOL DE NUIT" de Lysiane Schlechter

Lysiane SCHLECHTER, plasticienne à Rotterdam. Pastel sec sur papier.

Paru en janvier 2022, "Wendelin et les autres" (éd. L’herbe qui tremble), Lambert SCHLECHTER, avec 16 œuvres de Lysiane.

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"Devenir"

Je cambrerai les reins

j’effilerai mes griffes

je ferai doux pelage

pour donner corps

de sphinge aux ailes

solitaires

 

Je me questionnerai

sur la nature humaine

En l’absence de réponse

je plongerai

 

J’arrondirai le dos

puis je tendrai les bras

vol stationnaire

pour donner corps

de moro-sphinx aux ailes

frémissantes

 

Le nectar des stellaires

étanchera ma soif

Leur pollen en échange

j’essaimerai

 

Emmanuelle RABU

Auteure d’un recueil de calligrammes, 1494-Amphores poétiques, et d’un recueil de photos, Gris sauvages, chez Jacques FLAMENT éditions, en 2020. Avec Lysiane Schlechter, les deux complices composent ensemble un livre-dialogue entre dessins et textes.

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Texte et photographie

Juliette DERIMAY

"La brèche de Parozan"

 

Il l’a pointée du doigt depuis le bivouac de ce soir. Regarde là-bas, la brèche de Parozan, elle est éclairée dans le soleil couchant. On passera par là demain. Ce soir, c’est beau. La lumière posée sur les crêtes, les nuages qui promènent leur ombre, tu aimes voir tout ça, c’est pour ça que tu es là, pour voir la montagne, pour la vivre, la respirer. Mais demain tu seras si près que tu pourras la toucher cette montagne, ces pierres, ces cailloux, ces pentes si abruptes qu’elles n’accueilleront jamais aucune mousse, aucune herbe. Jamais de vie pour s’installer là, dans cette brèche. Ici les êtres ne font que passer. Comme toi demain puisqu’il faudra bien y passer pour faire le tour avec eux comme tu l’as décidé. Et à ce moment-là tu regretteras de l’avoir décidé, oh, comme tu le regretteras ! Mais une fois que tu seras en bas, tu sais aussi qu’il sera immense, le plaisir de l’avoir fait. Une délivrance, une fierté, presque un accouchement. Mais avant l’en bas, il y aura l’en haut. Là-haut tu marcheras un moment sur la crête pour trouver l’endroit le moins défavorable. Tu hésiteras, tu verras de chaque côté de tes pieds le monde tourner, tu te sentiras comme un hamster au sommet de sa roue et en même temps à l’intérieur de cette roue. Tu te sentiras piégée par ce corps qui réagira comme tu ne le veux pas, qui ne t’obéira plus, cette sueur qui ne sera pas celle de l’effort, ces jambes qui se feront frêles quand elles te portent d’habitude si vite et si loin, ton estomac en sac de nœuds et ta tête désespérément vide, imperméable à tout sauf à la peur. Tu sais que ça deviendra de pire en pire quand s’étirera le temps des hésitations et tu sais aussi que finalement tu te lanceras dans la descente, en t’agrippant comme tu pourras, en y mettant les mains, les fesses, en fermant parfois les yeux, peut-être dos au vide. N’importe quoi, n’importe comment. Juste fuir. Pour que ça cesse. Le vertige

Juliette Derimay, son Site : les-enlivreurs.fr

Publications : « Voyage en Irréel », avec le photographe Nicolas Orillard-Demaire (nod-photography.com), paru en septembre 2021 chez Spot Éditions et nombreuses participations à des ouvrages collectifs.

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Rebecca ARMSTRONG

"Ton corps de vertige"

Texte et vidéo

Tu es allongée. Le sol n’est pas froid. Tu sens tout. Contre ton cou des brins d’herbe. Contre ton dos un insecte. Contre ta peau le soleil.

Tes poignets contre ton ventre se soulèvent alors

tu ouvres les yeux. Ils se sont ouverts. Doucement les paupières

repliées.

Allongée. Sur le sol. Sous le ciel.

Il est loin il est bleu. Il est mou il est blanc. Il te touche il s’éloigne. Il file. Il reste.

Au-dessus d’un corps immobile, le tien. Et l’insecte avance. Comme le ciel sur la terre.

Molle comme le ciel.

Il fuit d’un côté revient de l’autre. Il tourne au-dessus. D’un corps allongé.

A force d’être, le ciel devient, tien alors

tu ouvres la bouche. Elle s’est ouverte. Le ciel entre. Tout entier, le ciel. Un nuage puis l’autre.

Le blanc entre le bleu entre l’air entre le vide entre.

Tout entier le vide dans ton corps, devenu ton corps, devenu le ventre, devenu le vide.

Tout entier le vide sous l’insecte minuscule. Tout entier le vide plaqué au sol. Le vide n’est pas froid. Ton corps est le vide qui avale le tout.

Rebecca Armstrong, est saisie de vertiges lorsqu'elle tente d'écrire. Elle voudrait rendre palpable le monde tel qu'elle le voit... Lien vers son très beau film : 

https://www.youtube.com/watch?v=9zNdHKcSoRk&t=32s

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Image vidéo et texte 

Gracia BEJJANI

"la fille a compris"

la fille a compris, il suffit de se pousser

se défaire

comme nuit, sa pierre de lune

elle s’agitera lente

peur au corps, avec le seul d’elle

et l’immense qui la voit

son consentement

la fille a appris, se décaler

fade blancheur d’à côté

elle s’effacera dans l’épaisseur du vent

que vent brusque les soupirs du monde

ses bruits plomb

la fille se tait pour ne pas entendre les voix

confesser leur silence

elle se fait ombre pour avaler leur fatigue

comme montagnes qui bâillent le temps

elle est désordre d’yeux

livrée à l’élan des villes

la fille s’arrête

ressasse l’insomnie d’inépuisables mers

le réel, stèle de combats abandonnés

Gracia BEJJANI

J’ai quitté le Liban à 20 ans. Je n’ai jamais quitté. J’écris, je filme, photographie, écris. Programmée au Festival Extra Litteratube, à Beaubourg. Publiée par le Courrier International, la Plume Francophone, hors-sol, le site Ici Beyrouth… et dans diverses revues de poésie comme Décharge, Wam… • Site personnel https://graciabejjani.fr/ • Chaîne vidéo : https://www.youtube.com/c/graciabejjani • Podcast : https://anchor.fm/gracia-bejjani

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Image vidéo et texte

Gracia BEJJANI

"je me rappelle"

je me rappelle avoir entendu

basses épaules de peine

avoir risqué les yeux

désordre de visages épars

piété de mains engourdies

je me suis vue chuter

corps perméable comme l’oubli

ses signes de douleur ordinaire

ma mémoire vit de rituels terrés

je manque l’époque

déplacée, ivre de peaux interdites

le souvenir de leur goût, bandé au ventre

aujourd’hui je mords les mots

textes tassés sous les dents

j’imite le mystère humain

ses vacarmes aux couleurs pâlies

j’ai des larmes de poussière entre les os

essoufflée d’immobilité

je claque de nuit

 

Gracia Bejjani

https://graciabejjani.fr/

youtube.com/c/graciabejjani

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Photographies de Fabrizzia DESIATO

Texte de Perrine LE QUERREC

"Face à face"

Assis comme ça sur sa chaise simple

Aucun décor aucune histoire

Avec sur son visage un gant de cuir

D’où émergent les ailerons du nez

La taille des paupières et des lèvres

Il est nu et l’étrange lait sur son corps

Flaque sur le sol jaune et modeste

 

À la base de son cou l’entaille et ses embranchements

Elle date de 40 ans elle plie s’évase

Son visage ganté attrape ma langue

Ses doigts en effleurent les reliefs

Il me glisse

M’enfonce me lisse

M’approche en bloc

 

La chaise isolée au parloir de la maison

L’échine brisée par la caresse de cuir

Les entraves déjouées au fil à la corde

 

Dans les débris de terreur nier le visage

Et démasquer les mots par la blessure

 

L’épreuve du face à face

Devant l’homme du masque

L’homme en général

Perrine Le Querrec, auteure de nombreux recueils de poèmes "Ruines" aux éditions Tinbad, "Les Tondues" aux Ed. Z4, "Rouge Pute" aux éditions La Contre-Allée, "Feux" aux éditions Bruno Doucey, et tout récemment "Le prénom a été modifié" aux éditions La Contre-Allée.

http://www.perrine-lequerrec.fr 

 

Fabrizzia DESIATO est photographe, une artiste lyonnaise qui nous a quittés en août 2015. Ces images ont été créées lors d'une résidence en Ardèche avec une compagnie de danse.

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Photographie de Jean-Luc RAHARIMANANA

Texte de Françoise RENAUD

écrit pour « Ton corps de vertige » - 25 sept 2022

"Ton cri sauvage"

 

il y avait eu l’eau folle | il y avait eu le souffle de la tempête, effondrement, terres emportées, invasion de l’eau | il y avait eu comme un suspens dans la vie même, cette violence indicible, ce choc que nul n’encaisse en un jour et même cent ou mille | il y avait eu comme une interminable secousse qui avait ébranlé jusqu’à l’intérieur des corps, plus manger après, plus envie, le désastre sous les yeux le jour et aussi la nuit dans les agitations du sommeil, les muscles dénués de force | donc il y avait eu l’eau folle et la boue, la boue partout, et puis il y avait eu le jaillissement de la lumière après tant de noir, c’était inouï | c’était venu deux jours après le drame, un soleil de commencement du monde, une lumière douce comme il en n’existe qu’au mois de septembre posée soudain sur le paysage dévasté, l’air aussi infiniment doux capable de caresser la peau des vivants, et je crois bien que tous les hommes et tous les animaux avaient ressenti le poids de ces heures de ténèbres se lever, ce souvenir de toi qui t’étais dressé de tout ton buste qui n’en finit pas, fin et puissant à la fois, tu t’étais perché sur le mur détruit au bord de la rivière et tu avais crié jusqu’au vertige, cet espace des possibles révélé brusquement tout comme l’espace du désir que j’ai toujours eu pour toi, ta soif inépuisable de vivre encore, ta soif de reconstruire ­­| le soleil dominait la voûte sans nuages, inondait le lit jonché de troncs arrachés aux versants, toute la vallée avait respiré au rythme de ton cri sauvage, bien sûr que tu aurais pu danser mais tu n’as jamais su, tu as juste crié levé les bras et puis de loin tu m’as regardée, je t’ai fait un signe depuis la maison, nos silhouettes vacillant dans la lumière | après on avait mangé du pain frais avec du beurre et du jambon qu’un ami avait apporté, c’était délicieux de manger dans cette lumière, un instant on avait oublié la boue

Françoise Renaud, 

Nombreux ouvrages publiés depuis 1997 (roman, poésie, jeunesse, beau livre) et publications en revue. Biblio ici: 

https://www.francoiserenaud.com/bibliographie/bibliographie-complete/

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Image vidéo et texte

Milène TOURNIER

J’ai couru avec les oiseaux aujourd’hui

C’était comme un bouquet de fleurs, mais en l’air, sans le vase.

Est-ce que, si ça avait duré toujours, je serais restée toujours ?

Ça a repris. Comme une musique dans une musique.

Comme un cadeau pas pour moi, mais que je voyais,

Comment font les oiseaux pour ne pas couler dans le ciel ?

Ils protègent le ciel, comme nous le fleuve.

Les gardes du corps, ça marche derrière, et pas devant les entrées des temples.

Le ciel est un décollement permanent de toute racine.

Exaltation générale

Le ciel, sa grossesse d’oiseaux

Le ciel est rond si la terre est ronde, vol plané d’oiseaux au-dessus de nos architectures et actes

Cent mille pas, voix, cris d’oiseaux par jour. Je t’aime.

J’aime le mot comme parce qu’il permet d’aller où on veut.

Ciel jaguar de jungle. Ou ciel tressé du matin au miroir.

Quand on arrive dans le ciel tout le monde change de trottoir

Pattes pliées de l’oiseau sous lui pour voler

Et moi, mes jambes dépliées, je t’aime à en retrouver haleine.

Milène Tournier est l'auteure des recueils "Poèmes d'époque" (collection Polder de la revue Décharge, avec une préface de François Bon), "L'autre jour" (Prix SGDL) et « Je t’aime comme » (Editions Lurlure)...

www.youtube.com/c/MileneTournier

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Image vidéo et texte

Milène TOURNIER

« Croire à l’immobilité, seulement, des oiseaux »

 

On ira habiter l’image fuyante, son cadre susceptible toujours de s’envoler,

Comme plein d’oiseaux. Signer de grands carnages

Et poser, sur la fine ligne tremblée, les lettres et leurs grandes ombres

Des élans, souvent, de simplement tomber

Quitter l’image, être tuée n’est pas la voie passive de mourir, rouler sous le train roulant, le bateau de la santé mentale où s’aller camisoler l’âme si elle a mal.

Donne son poids comme dans l’alphabet les lettres.

Ne plus assurer centre. Laisser derrière soi des rêves comme des langues oubliées. L’amour. Vivre l’amour.

C’était il y a 16 ans. On devrait pleurer des phrases écrites dans les toilettes sur un mur carrelé.

La carabine même a deux côtés, m’avait dit un jour mon grand-père. Et je n’avais pas du tout compris, que la carabine aussi laisse le choix.

Le corps range sa guerre. On se promène parmi.

L’univers est libre, qui abolit regard.

Nos vies lasses, de se tramer devant le baiser long du ciel.

Le vieil univers s’agenouille. On aura d’instables images, comme un rayon de lumière tape sur du verre.

Nos petites classes noyées. L’univers est la famille entière qui regarde ailleurs. Langues oubliées, œufs pas éclos. Univers mon grand inaccompli.

D’où il aura fallu chuter un jour pour aussi naître.

C’est vrai que voir m’atroce. Consonnes défenestrées.

C’était il y a seize ans, soixante, c’était il y a mille ans.

Je voudrais te confier mon poids.

Ne plus croire ni aux images ni aux cadres,

A l’immobilité seulement, des oiseaux.

 www.youtube.com/c/MileneTournier

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Photographie de Nathalie HOLT

Texte de Pierre COHEN-HADRIA

Ce n’est presque rien, la lumière la main le reflet,

rien des ocres et des bleus 

on ne sait pas on ne distingue pas bien c’est flou

c’est ce qui est beau sûrement

un signe un appel un au revoir ? Quelque chose de vous en tout cas

mais c’est bon de le recevoir

 

Nathalie Holt : scénographe de théâtre et d'opéra. Écrit et ne photographie pas que son lit. ‌ http://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Personne=2971

Pierre Cohen-Hadria : PCH sociologue enquêteur blogueur (écrit et photographie), commente et aime le cinéma - http://www.pendantleweekend.net/

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Caroline DIAZ

"Ton corps de vertige"

parfois je m’assois au bord d’un rêve et tu es là. je ne distingue pas les détails. il y a l’écho blanc entre l’étoffe de l’oreiller et le tympan. un froissement d’air minuscule. ton souffle régulier au-delà. l'apaisement avant la chute. la nuit l’emporte — mon corps effondré. je ne sais pas si mes yeux sont ouverts ou fermés. on marchait, on avait un temps inouï devant nous, on avait la légèreté de juin. on marchait le long d’une nationale qui traversait la ville. on marchait en silence on osait rien dire on marchait. les cœurs s’échauffaient. l’odeur de beurre tiède dans ton cou. jambes frêles. on s’est laissé glisser sur le bord du trottoir. nos joues frottées nos mâchoires à petits coups — lèvres amollies sous l’effet du vertige. la pluie a commencé à tomber, une de ces pluies d’été. lourde et brève. on ne parlait toujours pas. seulement remplir les vides qui s’ouvraient sous nos mains et nos lèvres — se presser.

Caroline Diaz

https://lesheurescreuses.net/

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Photographie et texte

Jean-Luc RAHARIMANANA

"Des ailes."

Extraits d’un roman en cours (sans titre).

 

C’est une noyade magnifique. Tout est blanc écume. Les vagues renversent le sentiment de l’espace. Ne m’importe ni bas, ni haut, il n’y a pas de chute, l’immersion est totale, il n’est plus de corps qui bascule, il n’est plus de crainte d’étouffement. Je n’ai plus à faire attention à mon corps, si danger il y a, de tomber ou pas.  Les vagues me retournent en tout sens, Elle rit et son rire emplit l’écume. Les vagues dérobent mes frissons et j’ondule à leurs poursuites, elles surgissent derrière moi, elles sont devant maintenant, elles sont à côté, elles reviennent en moi, je frissonne à nouveau. Ses lèvres se posent sur mes lèvres et je ne respire plus, je n’ai pas besoin de respirer. Elle est ma respiration. Tout est blanc écume, légèreté et brusque brûlure. Ma poitrine explose. Elle disparaît brutalement. Elle me dit que je n’ai qu’à me tenir sur la falaise, la Reine des feuilles à la main, pour la rappeler. Les vagues me ramènent à la surface, je dérive…

 

Je n’ouvre pas les yeux. L’œil est un rêve de soleil qui n’a de nuit que l’illusion. Je ne veux pas retourner dans le monde des hommes. Je ne veux pas croire que ce monde qu’ils disent réel soit le bon, monde d’imposture et de faux, monde de mensonge et de cruauté. Vagues sous le ventre, c’est ainsi que le monde doit nous porter, nous laissant le choix de flotter ou de nous enfoncer. Encore faut-il savoir se laisser porter… Je rejoindrais les profondeurs et je modèlerai à ma manière l’ombre qui m’envahira.

Jean-Luc Raharimanana, auteur de 18 recueils, dont Rêves sous le linceul, Les cauchemars du gecko, Empreintes (Ed. Vents d'ailleurs), et le roman Revenir (Editions Rivages)

Premier lauréat du prix Jacques Lacarrière.

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Aquarelle d'Alexandre PIQUION

Texte d'Emmanuelle CORDOLIANI

Une ligne noire sur blanche. Le téléski interdit. Le téléski des Seigneurs. La pente si raide et le petit socle qui botte les fesses serrées sous la combinaison molletonnée. Heures de vol obligé, légère comme une araignée microscopique à huit pattes, bâtons et skis dans le vide. Parfois, miraculeusement retombant sur la trace. Souvent, l’équilibre est perdu. À la grâce suspendue de l’envol succède une séquence de rodéo où la perche traîne son petit ballot de skieuse déglinguée sur quelques mètres sans qu’on sache reprendre le dessus, remonter en selle, ni accepter d’abord de lâcher les rênes. On perd à tout coup et va alors trouver ton chemin dans la forêt de sapins… On n’est pas la première à tomber là. Les empreintes des petits animaux et les roulades des pommes de pin tracent une sortie à la Davy Croquette. Tant pis si la nuit tombe aussi du téléski.

 

Texte d'Emmanuelle Cordoliani, Aquarelle d'Alexandre Piquion.

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Texte de Helena BARROSO

"Les danseuses-autruches"

Hommage à Paula Rego

 

Elles, au corps trop lourd pour prendre de l’envol, résistent, ragent, hantent. Leurs pieds ont été sculptés dans la glaise, le temps a meurtri leur visage, les traits se sont durcis au cours des tempêtes, leurs poings sont pourtant prêts pour la bataille. Elles, au corps trop fier pour supporter les contraintes, gardent intacts leurs désirs et leurs rêves, dansent à la lumière de tout ce qui nous plie et finit par nous briser. Nous, au regard pur, à la frivolité cruelle, sommes pourtant leur proie, leur trophée de gloire. Oiseaux grotesques qui nous éclaboussent de peur, nous jettent au visage ce que l’on aimerait piétiner. Leurs gestes, leurs regards, leurs cris muets nous démasquent et nous frappent. Si on détourne les yeux, on meurt.

Détail d'une toile de Paula Rego.

Helena Barroso est professeure à l’Ecole Supérieure d’Education de Lisbonne. J’ai longtemps pensé, en contraste avec toutes les histoires que je lisais et qui rendaient indistinctes les limites du probable, que je n’avais aucune imagination et que l’écriture n’était pas une option pour moi. Puis, un jour, j’ai écrit une histoire, puis une autre, et encore une autre. J’ai découvert que je vivais autrement quand j’écrivais, que l’état dans lequel me plongeait l’écriture était à la fois effrayant et magique, que celle-ci me permettait d’aller voir ailleurs et autrement ce que je ne voulais pas regarder en face. 

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Toile d'Anne-Marie PAMELARD

Texte de Fabienne SAVARIT

"À contre-temps"

Tu avances un pied étonné par l’entrebâillement de la porte. La rue s’est éclairée au passage d’une silhouette familière maintenant accotée au mur de façade. Et tu ne sais exprimer l’enthousiasme qui t’étreint à l’idée de l’approcher, te tenir simplement à ses côtés, frôler, de la pulpe de tes doigts, la bretelle de sa robe légère. Phalanges et ligaments frissonnent, y grouille un éblouissement imprévu, un roulis des cellules. Tu observes l’oscillation de ses lèvres. Te dit-elle : viens ? Viens près de moi ? Je suis enfin revenue. Tu inspires, une fois, deux fois, retiens ton souffle et l’enthousiasme naissant peu à peu sous l’épiderme. Index et majeur se posent avec souplesse sur un fragment de sa peau. Frôlement étourdissant. Sa voix claque ! Bas les pattes ! Tu recules d’un bond. Tu demandes : suis-je à contre-temps ? Mais elle ne te regarde déjà plus et tu te bats contre cet étourdissement capricieux qui dévoilerait ton trouble. Sous le chahut, rotules et malléoles flanchent. De ton corps disloqué, tu ne sais plus alors que faire.

Fabienne Savarit, romancière,

"La caravane du vent" (Editions Auzas).

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Texte et photographie

Virginie SEBA

Et si on prenait de la hauteur ?

Si on quittait nos petits corps de terre

Défroisser déployer nos ailes

Si on se faisait tout grand dans le ciel

Les ailes le corps planant

Et là-bas tout en bas

Le paysage minuscule

A peine deviner clôtures et champs

A peine distinguer bourgs et villages

A peine routes et chemins

A peine ce paysage de terre et eau

De villes et de turbines

De fleuves et de montagnes

A peine entrevoir esquisse d'un monde étirée

A coup de pinceau à coup de chiffon

A coup de doigt ou de couteau

Matière posée diluée

Entaille creusée ou rapiécée

Et si on prenait de la hauteur ?

Sous ton regard dilaté

Les lignes s'enfuir

Se brouillent se redessinent

Et de là-haut

Le paysage se délaver

Et de là-haut

Montagnes plaines et champs

Cratères volcans et pics

S'aplanir planisphère

terre minuscule plate et lissée

carte postale posée à plat

Sous ton regard étonné

Et tout en haut planer

Ciel franc et lisse

Seuls arrondis

Nuages plein champ

Cumulus ronds et pleins

Entre les gouttes se faufiler

Entre les stradivarius et les nimbus

Entre les poches à nuages

Pleines d'us et d'usages

Jouer à cache-cache

A ta guise ta face

Disparaître réapparaître

Se peindre en nuage

S'affranchir du paysage

 

Et si on prenait de la hauteur ?

Laisser nos cartes

Le paysage le temps qu'il fait

Ne plus parler d'éléments

d'atmosphère d'étoiles qui filent

De feu de paille ou d'incendie

Si on lisait nos lignes de fuite

Les failles sans suite

Si on creusait nos trous noirs

Univers chiffonné

Au coeur de notre big bang

Et de nos queues de comète

Glacées poussières

Par alchimie concrète

Faire une nouvelle planète

Et de nos chères parallèles

En une chanson de geste

Redessiner bigre passerelle

Poétesse performeuse, Virginie Séba écrit, dit, publie, anime et intervient pour des projets artistiques en milieu scolaire et culturel.

En solo ou à plusieurs, accompagnée de musicien.nes, Virginie a créé 3 spectacles dont le dernier est un hommage vibrant à Sister Rosetta Tharpe, pionnière du rock’n roll. Retrouvez toute son actualité sur www.slamchante.fr

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Toile de l'artiste MAÏPO

Texte d'Anne DEJARDIN

Ça commencerait par un vertige, le risque de l’inversion possible, tête en bas, cul par-dessus tête, corps sens dessus dessous, ce qui tremble, ne tient plus sur ses pattes, chancelle, hésite, vacille, ondule, penche, approche la frontière, la limite entre le dangereux et le fatal, le basculement possible, le bas qui appelle, le vide qui aspire, la tentation du précipice, le corps précipité, ce que ça fait au corps le frôlement d’avec lui, le point d’équilibre, ce qui adviendrait s’il le franchissait, passait outre, comme une netteté du corps qui s’efface, devient flou, effondrement de sa verticalité, quelque chose en lui lâcherait, ne ferait plus office, flotterait entre deux eaux, la ville du haut et celle du bas, ne plus savoir depuis le corps palmant laquelle est engloutie, le corps aurait perdu le nord, la boussole, baigné dans un liquide qui peu à peu deviendrait plus épais, plus dense, juste gélatineux au début et bras et jambes à s’y mouvoir de plus en plus lentement, mouvement contre résistance, à qui l’emportera, l’autour du corps se solidifiant, bouger encore malgré lui intensifiant sa prise, cocon protecteur devenu mortifère, flirter avec les limites, ignorer les séparations invisibles, le corps d’enfant s’y dissoudre.

Anne Dejardin "Quand je n’écris pas, je brode les mots des autres et quelques fois les miens (https://www.instagram.com/dejardinanne/). Quand je n’écris pas, je lis les textes des autres et quelques fois les miens depuis ma voix ou celle d’Hortense anne dejardin - YouTube

L'artiste MAÏPO se présente dans l'A propos du site.

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Texte, toile et photographie

Mokhtar EL AMRAOUI

"NUITS"

Nuits

Equasillons chancelant

A la tête pâle

Ouverte

Mégot tenace

Qui n’en finit pas

D’accompagner

La danse carnassière de la dernière bougie.

Nuits

Tisserands invisibles

Aux barbes d’algues !

Ils froissent la glu sidérurgique

Du texte vitrine

Qui gutenbérise son plasma logique.

Nuits

L’oiseau bourre son plumage,

Dans la métachromie crage

Et défilent, dans son exil,

Des bardes-dunes

Qui chantent la grande geste des couleurs,

Noces du palmier et de la cicatrice des eaux,

Sur les cordes tendues de tes veines !

Nuits

Poésie,

Tableau hémorragique

De la tragédie !

Poète !

Ha ! ha ! ces vers que tu pourchasses

Et qui te glissent

Entre tes pieds ivres !

Poète !

Ces poèmes qui te balancent,

Dans la gueule cynique de l’aube !

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Nuits

Le carbone que tu retires

De sous le miroir-tombe,

Erection du sème fétiche,

Début d’absolu !

Tu jettes alors, dans le naphte sans étoiles,

Ta horde de textes squelettiques

Pour leur donner leur heure d’inversion,

Dans ton miroir puis te démaquilles,

Pour les refermer, dans le vaste tiroir des aversions,

En leur donnant une dernière caresse,

Un point, une virgule,

Un synonyme de conversion

Pour cette rime qui trime

Que tu conduis, à laisse,

A s’aplatir,

A croiser,

A embrasser,

Dans tes boudoirs du crime,

T’en croyant couronné aux cimes !

Mais tu ne gommes jamais !

Début d’absolu !

Puis, tel un bonimenteur,

Tu suspends, au porte-manteau,

La lune, les étoiles et le slip de ta muse !

C’est alors que tu prends ton mandrax de ronflard

Et te glisses sous la fermeture-éclair de ta pendule

Qui te réveillera, la nuit prochaine

Pour promener ta maladive texture

Et t’endors.

Hé dresseur de sèmes !

N’oublie pas,

L’oiseau a tout vu !

Hé dresseur d’étoiles !

L’oiseau n’est plus !

© Mokhtar El Amraoui in « Arpèges sur les ailes de mes ans »

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Composition graphique et texte 

Thérèse CIGNA

Lourde,

Puissante,

Noire,

Ronde et sensuelle,

Prise de vertige,

La goutte tombe sur le papier 

Pour ne faire qu’un seul corps. 

Thérèse Cigna, écrivaine et plasticienne, est animatrice de la rubrique art et culture -TV Royans Vercors et Gresivaudan
Membre du comité d’organisation Drôme -Isère de la BASI -Saint-Etienne https://cigna.book.fr

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Texte de Mélina CHARPENTIER

Toile d'Isabelle BECKER

En moi il y a cette sphère sectionnée

Quatre parties inégales mais raisonnées

La première est d’or, un rayon de lumière

Qui jamais ne dort, aussi vive qu’un éclair

La seconde est d’argent, une sublime fragilité

Elle étincèle par moment, en cas de difficulté

La troisième est de bronze, féroce et impitoyable

Elle ferait ployer sous son poids l’homme indomptable

Et enfin il reste la dernière, d’une couleur indescriptible

Elle renferme des terreurs et un désespoir indicibles

Une cruauté épouvantable pour ceux qui la voient

Un fardeau raisonnable pour ceux qui la fuient

Trop souvent dans son horreur elle me noie

Alors je m’accroche aux trois autres pour rester en vie

Mélina Charpentier : " je n'ai pas de formation littéraire à proprement parler, j'ai simplement été attirée par la littérature depuis mon plus jeune âge, j'ai commencé à écrire mes propres textes sur des thèmes sombres/mélancoliques dès le début de mon adolescence. Suite à la parution de mon recueil de textes à venir j'aimerais me lancer dans l'écriture d'un roman dont le genre reste encore à définir mais sans doute inspiré par l'heroic fantasy..."

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"Des corps en vertige"

de Gaëlle-Bernadette LAVISSE

Photographie d'Ema COURTOIS

Biennale d'Art contemporain de Venise

 

As-tu peur de mourir demain ?

As-tu peur du temps qui passe ?

Comme monter sur l’Everest

Comme assis sur le rebord de la page blanche

Se regarder dans les yeux

Peur bleue en amour

Fuir le bonheur de peur

S’attraper par la main

S’étreindre dans les bras

Fuite de l’écrivain, du poète

Vivre pour toujours,

Rester jusqu’à l’éternité

Le cœur qui explose

Les acteurs au théâtre se cachent

Derrière le rideau rouge

Attendent les trois coups

Pour s’élancer sur la scène, le corps en vertige

Ma petite vie à moi loin des planches aujourd’hui

Muette, sans histoire

Couche l’encre sur le papier jauni

Seule, je suis mon chemin

Le corps en vertige, j’attends des jours meilleurs

Je ne sais depuis combien de temps

Les ombres me hantent, et m’attirent à elles

Mais je continue d’avancer, le corps en vertige

Je m’effondre en ressentant la douleur

Abandonner, ou continuer d’avancer encore

Le corps en vertige, je ne suis pas une machine

Des corps en vertige

©Gaëlle-Bernadette Lavisse

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Texte de Fazia RAJA

"Terre tranchée"

Photographie de Danièle GODART-LIVET

 incision sur l'écorce de la terre

un à un je saute à pieds joints dans les

crevasses, rires sous cape, dégueulasses

ces mauvais visages qui jugent et décapent

sans fruits pleins sans désirs

et moi je préfère

me vautrer dans la boue.

Fazia Raja,

vivant quelque part du côté de Ouarzazate. 

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Photographie de Juliette Derimay

Texte de Perrine LE QUERREC

"Miniature"

Commissure / espace de promesses / angle excitant / pli si discret / fente émotive / contact impatient / échange de frissons / vertige miniature

Perrine LE QUERREC

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Dans un parc au bord de la Méditerranée 

Texte de Perrine LE QUERREC

"Miniature"

Commissure / espace de promesses / angle excitant / pli si discret / fente émotive / contact impatient / échange de frissons / vertige miniature

Perrine LE QUERREC

Et surgit, ci-dessous, une toile de Joseph Noce...

"Blue phenomena"

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Toile de Giuseppe Arcimboldo

Texte de Marie Berchoud

En corps dans un oignon - New-York, j’y vais si rien ne dérape et rien ne me détournera. Blurp… ces mots n’ont aucun sens... Le rêve est le plus fort, il joue avec… avec moi ? la rêveuse des destins jadis brisés. Me voici dans un hélico de combat et d’observation à décollage vertical, au-dessus de ma tête tournent les pales surmontées d’un toupet géant couleur d’or pour le vol stationnaire. Cet hélico est un oignon maousse costaud et son toupet de cul géant est collé sur sa tête animée de rotors supérieurs. Assise coulée dans le ventre rond du légume d’or, le mieux est de tresser son rêve en vie. Peut-être suis-je dans le quart d’heure glorieux prédit à tout un chacun par Andy Warhol, qui sait.

Je referme les yeux.

Jamais je n’aurais dû fumer à Santa Fe.

Marie Berchoud est l'auteure du récit "Le Grand Cargo de la Lecture" (Ed. Le Roi Lire), et co-auteure de l'ouvrage "Ecritures et/en migrations" (Ed. Petra, Paris), notamment le chapitre "Exprimer la migration de ses parents, voies, voix et freins".

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Toile de Linda BACHAMMAR

Texte de Zohra MRIMI

Il faut un poème pour dépasser ma peine,

Pleine de tranquilité et de peines,

Elles sont des enfants qui m'aiment

et je t'aime dans ces enfants qui m'aiment 

J'y mettrai la nuit, ses joues bleues sont des chantres qui prient.

Je crois que ton nom n'a pas besoin d'eux

Je regrette mes ailes, je les ai échangées pour que mes rêves te rejoignent

Ton corps en vertige nous résiste

Je voudrais que tu restes.

J'ai couché l'horizon

Il est magnifique mais si petit !

Je crois que la vie et la mort sont deux cendres de neige 

Je crois qu'un flocon est une âme.

Zohra Mrimi, auteure de "Le jour fait l'adieu" (éditions Z4).

Présentation de l'artiste Linda Bachammar dans l'A propos du site.

Création picturale de Peter Kuper

Texte de Samia Amar Ben Saber

Des employés dans l’anonymat,

Au bureau prenant un chocolat,

Et dont la vie soudainement vole en éclats.

Tombent les soldats,

Au cœur de l’attentat.

Des tours qui chancellent, vacillent et s’entremêlent,

Toutes les deux sont jumelles, entre elles, point de duel. Même destin dans l’épouvantable carrousel.

Palpitations des cœurs, valse des objets,

Tournis dans toutes les têtes, céphalées et nausées.

Les hauteurs de New-York s’évanouissent dans les vapeurs, Fumée et brouillard donnent des sueurs.

Fragilisées, les tours dans la tourmente;

Fragilisées, leur histoire est émouvante.

Corps et tours se côtoient dans le vide,

Et dansent au bord de l’abîme, avides

De vie, d’énergie et d’une chute amortie.

Face à leur acrobatie, effrayant tête-à-tête,

L’ivresse du vertige vers le gouffre les dirige…

Et c’est le monde qui s’arrête.

Voltige qui afflige, ne restent que des vestiges.

Insomnie, agoraphobie, voilà ce qui saisit

Témoins et survivants, eux aussi à l’agonie.

Samia Amar Ben Saber est enseignante de littérature anglaise.

Oeuvre picturale : HUMAN-LIKE EMPIRE STATE BUILDING WEEPING AT 9/11 SITE 2001 ORIGINAL ART BY PETER KUPER

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